C’est dans le cadre de son second concert à Gelbressée (Namur) que Scènes Belges a pu rencontrer le Verviétois Jacques Stotzem, maître du “fingerpicking”, en tournée en Belgique pour présenter son nouvel album, “Catch the Spirit II”.

Tout en humilité, accessible et jovial, le sympathique guitariste a ébloui un public nombreux et ravi (la plupart de ses concerts sont affichés “sold out”).  Avec beaucoup d’humour et d’anecdotes (cherchez le “With or without you” coréen…), le verviétois nous a présenté son dernier album, dédié à des arrangements de morceaux “classic rock”, ainsi que les diverses facettes de sa technique.

Aux côtés de morceaux de Rory Gallagher ou de Nirvana (“Come as you are”), J. Stotzem nous a conquis par sa maîtrise des sonorités (ou comment faire sonner une Martin comme un oud, sur l’exotique “Oasis” !), et sa maîtrise technique, impressionnante, du “fingerpicking” (“Jungle” !!! ). Ambiances feutrées (“Sur Vesdre”, aux sonorités limpides évoquant l’eau qui coule, “Paris – Texas” de Ry Cooder, aérien), ou plus “chaudes” (“Hey Joe”, “Tatoo’d Lady”, “Honky tonk women”, …). Entre hommages à Marcel Dadi (“Picking in Paris”) ou Classic 21 et autres petits cours d’introduction au “picking for dummies”, J. Stotzem a subjugué l’auditoire jusqu’à une “standing ovation” amplement méritée. Royal !

Scènes Belges: Jacques Stotzem, bonjour. Vous tournez actuellement pour la promotion de votre nouvel album “Catch the Spirit II”, qui fait écho à “Catch the Spirit” sorti en 2009. Quelle est la genèse de ce nouvel album ?

Jacques Stotzem: Il fait suite à “Catch the Spirit”, qui avait recueilli un grand succès. Mais il y a surtout le fait que je me rends compte que la musique que j’écoute est essentiellement électrique, et que j’ai toujours aimé cette musique-là. J’ai beaucoup écouté des gens comme Jimi Hendrix, Led Zeppelin ou les Stones. C’est un projet auquel je tiens énormément, de reprendre ces morceaux afin d’en capturer l’esprit, d’où le titre “Catch the Spirit”, en le restituant à travers un arrangement pour la guitare acoustique, dans cette technique qui est la mienne, le picking.

SB: Est-ce difficile de reproduire des groupes essentiellement électriques, avec distortion, larsen, etc… à la guitare acoustique ?

JS: Pour cela, j’écoute d’abord énormément les morceaux que je veux revisiter pour y déceler les éléments essentiels, par exemple un phrasé du chanteur, un phrasé de guitare, un riff,… des petites choses qui sont dans la mémoire auditive d’un titre. Puis en quelque sorte, je me réapproprie les morceaux pour après en donner une vision globale revisitée. Tenter de reproduire l’énergie d’Hendrix ou Rory Gallagher, la nostalgie de Jackson Browne ou Neil Young, et ainsi de jouer sur la grande dynamique qu’offre la guitare acoustique. Pour un répertoire en solo comme je le fais, l’acoustique a beaucoup plus de dynamique que l’électrique d’ailleurs. Tout cela afin de trouver au mieux l’esprit de chaque arrangement. Cela demande beaucoup de travail, plus même que de composer un de mes propres morceaux.

SB: Vous avez à votre actif 13 albums et, paradoxalement, vous êtes resté assez méconnu en Belgique, malgré une renommée mondiale. Grâce à l’appui de Classic 21 depuis “Catch the Spirit”, en 2009, vous commencez à être reconnu. N’est-ce pas frustrant de connaître le succès grâce à des arrangements et non à partir de vos propres morceaux ?

JS: Non, certainement pas. J’ai bénéficié d’un beau support auprès de Classic 21, mais j’ai d’abord mené ma carrière autrement. Cet album “Catch the Spirit”, j’aurais pu le faire aussi, précédemment, mais je n’ai jamais eu l’idée de le faire. Ce projet “Catch the Spirit”, qui pour moi était vraiment un projet auquel je tiens profondément, s’il y a une réponse à la fois des médias et une réponse du public, je ne suis certainement pas du genre à me dire: “ah, bin , c’est dommage de ne l’avoir pas fait avant”. Les choses, elles se passent au moment où elles doivent se passer, et puis voilà. Maintenant, j’ai eu la tournée des concerts “Catch the spirit II” et ici, ils sont tous complets. De quoi je me plaindrais ?

SB: Peut-on vivre de la musique, aujourd’hui, en Belgique, dans le milieu rock ?

JS: Personnellement, je vis seulement de mes concerts, mais évidemment, j’en donne partout et donc, si on limitait au territoire de la Belgique, je dirais que non, parce que la Belgique est un trop petit pays. En tant que concertiste, je dois aussi remarquer que ma vie me mène sur des chemins vraiment très éloignés de la Belgique et je pense que pour faire une carrière de concertiste comme je la fais, on ne peut pas se contenter de la Belgique. Il faut ouvrir absolument ses horizons et voyager beaucoup.
Je me rends compte en fait qu’au début – je joue de la guitare depuis très longtemps et j’ai toujours eu envie de jouer comme ça, instrumentalement -, les gens me demandaient souvent: “tiens, pourquoi tu ne chantes pas ?”. Mais je disais: “je ne chante pas parce que je n’ai pas envie de chanter”, un point c’est tout.
Je suis un instrumentiste, j’ai envie de faire découvrir ça. Maintenant, c’est un grand avantage pour moi de ne pas chanter. Parce que, justement, la musique, elle est instrumentale et elle s’adresse à tout le monde.
A partir du 15 décembre, par exemple, je commence une longue tournée en Asie . Je suis un des rares musiciens belges à pouvoir faire des choses de ce genre-là. Je tourne en Amérique du Nord aussi.  Je fais tous les pays d’Europe, et je pense que ça c’est grâce au fait que je ne chante pas, et que la guitare est un instrument qui reste très populaire, qui a vraiment une audience partout.

SB: Vous avez découvert, vers 16 ans,  Stephan Grossman, etc… Ce sont des gens qui ont un style, je pense à Marcel Dadi, dans le même genre “fingerpicking”. Est-ce que l’on peut dire qu’il y a un style Jacques Stotzem ? Vous avez 13 cd à votre actif,  vous avez une méthode…

JS: Je pense que c’est un mélange de choses. C’est vrai que les références que tu cites, que ce soit Grossman ou Marcel Dadi, pour moi, sont des personnes qui ont eu leur importance parce qu’elles m’ont donné l’envie de jouer la guitare. J’ai vu Grossman, qui jouait du blues, et quand je l’ai entendu, je pense que 3 jours après, j’achetais ma première guitare alors que personne auparavant ne m’avait donné l’envie de jouer de la guitare. Donc je me rends compte à quel point Grossman ou M. Dadi ont été importants pour moi, ils ont été des éléments déclencheurs, excessivement importants. D’ailleurs, leur musique, je la respecte beaucoup à ce titre là, parce que les avoir écouté, ça a vraiment changé ma vie.
D’un autre côté, aussi, c’est sûr que je ne suis pas un bluesman, c’est vrai aussi que je n’ai jamais été bercé par une culture américaine. En fait, j’en joue toujours de cette musique traditionnelle là, mais ma propre musique a beaucoup évolué. J’ai eu envie de composer.
Le fait de ne pas chanter, par exemple, mais d’aimer des gens comme James Taylor, Jackson Browne, qui sont des chanteurs avant tout, m’a donné envie de mélanger à nouveau toutes ces influences-là, et de me retrouver avec une technique qui vient du blues, ça c’est vrai, mais d’être un fan de mélodies et de chansons aussi, et de pouvoir faire chanter la guitare.
Je définirais mon style personnel comme un mélange d’influences. J’aime beaucoup de styles de musique différents sans être puriste d’un genre ou d’un autre et certainement ce goût diversifié influence mon inspiration, mon envie de composer, de jouer et automatiquement, il y a un style qui en découle, une manière de pincer les cordes, d’aborder l’harmonie, d’utiliser la dynamique… Toutes les influences qu’au fil du temps j’ai creusées ont défini mon style et ont forgé ma voie dans le monde de la guitare acoustique actuelle.

SB: Vous êtes le seul musicien acoustique d’Europe à avoir un modèle “signature” chez Martin. Comment est-ce que ça arrive, ça ?

JS: De nouveau, ça rejoint une de tes questions lorsque tu posais la question de savoir si un musicien peut vivre de la musique en Belgique. Je t’ai répondu non, parce qu’en fait, si j’ai eu une connexion avec Martin, c’est parce que j’ai beaucoup de connexions à l’étranger, que je suis sur un label, “Acoustic Music Records”, qui est spécialisé dans la guitare acoustique, et que je travaille dans beaucoup de pays.
Donc, automatiquement, un jour ou un autre, des firmes comme Martin, qui est la firme de guitares acoustiques la plus réputée du monde, entendent parler de ce que je fais, ils suivent mon actualité et puis, un jour, c’est eux qui décident ! Ce n’est jamais un musicien qui demande ça, c’est toujours la firme qui propose.
Moi, j’adore les guitares Martin, c’est des guitares que j’ai toujours eues, et évidemment, quand Martin m’envoie un mail et me dit: “Jacques Stotzem, est-ce que ça vous intéresse d’avoir un modèle signature ?”, bin… Waw ! C’est quelque chose de formidable !
Evidemment, c’est vrai que mon nom se retrouve aux côtés de personnes comme Mark Knopfler, Sting, Eric Clapton, qui ont leur modèle “signature” chez Martin, et le mien est dedans ! Je ne peux de nouveau qu’être content, mais je crois que c’est la conséquence d’une passion, d’avoir eu envie de faire concertiste, instrumentiste, d’avoir créé des choses. Et au bout d’un certain nombre d’années…
Tu sais, une carrière de musicien comme je la fais, c’est sur le long terme. Ce n’est pas une carrière commerciale, ce n’est pas une carrière pop. Je n’ai pas du tout le même genre de vie qu’un groupe de rock. C’est des vies fondamentalement différentes. Le long terme, c’est des choses que tu fais parce que tu les fais tout le temps, parce que tu es passionné par ce que tu fais, et à un moment ou un autre, les portes s’ouvrent et des gens comme la firme Martin viennent sonner à ta porte. Je peux dire que je suis très fier d’avoir ce modèle “signature” !

SB: Il y a actuellement des “rock school” et il y a quand même beaucoup de possibilités pour des jeunes d’apprendre la guitare, de connaître un petit peu mieux le milieu rock qui tourne autour de ça. La guitare acoustique semble toujours de côté: il y a rarement des cours de guitare acoustique. Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer sur cette voie-là ?

JS: Il y en a quand même. Je donne 2 stages “workshop” par an, parce que je n’ai pas du tout le temps de donner des cours. Mais je sais qu’il y a de mes élèves qui ont suivi mes stages et qui donnent des cours régulièrement. C’est plutôt des cours privés.
En fait, c’est une technique particulière le picking. C’est une technique qui a des liaisons profondes avec le blues, au départ. Quand je donne des stages, j’explore les sources, je montre la technique du picking, qui est une organisation de la main droite vraiment particulière, au travers de morceaux de blues. Si des gens veulent s’intéresser à la technique du picking, je pense que dans le blues, il y a toute la base. Quand on aime le blues, on sera vite confronté à cette technique qui a été inventée par les bluesmen.
Donc je dirais que celui qui s’intéresse au picking, inévitablement, doit s’intéresser au blues. Mais le blues va ensuite le mener aux Stones, à Led Zeppelin, à Neil Young… Quand on les entend jouer, ils utilisent tous ça parce que ça fait vraiment partie de la base de leur musique à eux aussi ! Quand on entend Jimmy Page, il jouait du picking, mais il l’utilisait d’une manière différente de la mienne.
La manière de pincer les cordes à l’origine revient toujours à cette source des années 20, dans le blues acoustique de Big Bill Broonzy, de Robert Johnson, de Son House… Et c’est tous les noms qu’on retrouve toujours dans toutes les influences de tous les guitaristes de rock aussi.

SB: Vous êtes un guitariste électrique ?

JS: Non. Je suis vraiment seulement “acoustique”. Je dois même avouer que je n’ai pas de guitare électrique. Je suis un passionné de la guitare acoustique. J’aime jouer seul, donc à la guitare acoustique. Pour moi, jouer seul a plus d’avantages, a plus de dynamique. On entend rarement des gens qui jouent vraiment seuls tout au long d’un concert avec une guitare “solid body”. Je préfère l’acoustique parce qu’elle a une dynamique plus grande.

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