L’Ancienne Belgique accueillait ce mardi un des groupes phares de la scène reggae française, Dub Inc, à l’occasion de son Paradise Tour. Scènes Belges en a profité pour aller en coulisse recueillir les impressions d’Aurélien Zouhou, un des deux chanteurs du groupe.

« Tout ce qu’ils veulent, c’est une France qui ferme sa gueule ! Une fois de plus, la machine est lancée ! » L’Ancienne Belgique est pleine d’un public chauffé à blanc. Les premières notes, emblématiques, résonnent. Et déjà, la foule entonne en coeur les paroles de la chanson d’intro du concert, avant même que le duo de tête de Dub Inc ne soit sur scène. C’est alors que les deux larrons rejoignent en trombe leurs cinq musiciens, sur une ovation à couper le souffle, et que la fête commence ! Pas de mise en jambe avec Dub Inc, on entre directement dans le vif du sujet. L’ambiance met dix secondes à atteindre son apogée et ne redescendra qu’après presque deux heures d’un show qui filera à toute allure. Les deux chanteurs dégagent une patate d’enfer, comme si un véritable feu intérieur les habitait : « On veut voir tout le monde avec nous ! », scande à plusieurs reprises Komlan, devant un parterre de bras levés si haut qu’ils semblent vouloir décrocher les étoiles.

Komlan, de son vrai nom Aurélien Zouhou, c’est la « grosse voix » de Dub Inc. C’est le côté ragga, l’organe granuleux, parfois presque guttural, du duo. Deux heures plus tôt, Scènes Belges a eu l’occasion de le rencontrer dans les coulisses confortables de l’AB. Le regard rieur et enthousiaste, tout sourire, l’homme nous a accueilli chaleureusement dans sa loge en affichant son enthousiasme pour le concert de ce soir : « Ça va être bien, sans aucun doute, on est à l’Ancienne Belgique, la meilleure salle du pays. Peut-être même la meilleure d’Europe ! Que ce soit au niveau du son ou de l’ambiance, on peut dire que vous êtes bien ici ! »

Sur scène, les chansons se succèdent et on arrive rapidement à ‘Paradise’, la chanson éponyme du cinquième album, sorti il y a un peu plus d’un mois. « Paradise parle en fait de tous ces paradis en plastique qu’on fait miroiter aux yeux des gens aujourd’hui, nous explique Aurélien en backstage. De la société capitaliste et de ce faux bonheur à consommer, qu’on nous vend et qui est souvent éphémère. » Paradise s’inscrit dans la droite lignée de Hors Contrôle, l’album précédent. « La création de Hors Contrôle avait été marquée par un voyage en Jamaïque, qui a nous avait fortement marqué. Maintenant, il y a un côté plus world dans notre musique, avec beaucoup d’influences différentes. Par exemple, on a fait appel a plus de musiciens extérieurs, alors qu’avant, c’était surtout avec d’autres chanteurs qu’on travaillait. » En tout cas, le Monde, on peut dire que le groupe stéphanois l’a bien parcouru. Depuis la sortie de Hors Contrôle en 2010, Dub Inc s’est adonné à une mémorable tournée de 160 dates réparties dans 27 pays. Un succès international grandissant, sans doute dû à l’incroyable mélange de cultures, de sons et de langues que prodigue le groupe adepte de la “Reggae World Music”. « C’est sûr qu’on a une base de notre public qui est la même que celle de Danakil et des autres groupes de reggae français. Il s’agit généralement d’un public assez jeune et oscillant entre les 16-25 ans, mais je pense qu’on touche aussi plein d’autres gens grâce à notre côté ‘world’ ! »

Posant leurs textes en anglais, français et kabyle, alternant les langues au sein des mêmes chansons, Dub Inc a cette force incroyable de toucher un public extrêmement large. « Il n’y a pas de règles sur la langue dans laquelle on va chanter. Certains croient qu’on va mettre plus d’anglais, par exemple, pour se faire connaître à l’étranger. Mais en fait, non, ça vient juste comme ça, au feeling. Parfois les paroles viennent en anglais, parfois ça sonne mieux en français. Hakim, par exemple, quand on écrit ou quand on répète, il fait souvent du yaourt. Et puis, il pose les mots par après, en fonction de la manière dont ils sonnent avec la musique. »

Hakim Meridja, alias Bouchkour, c’est le côté oriental de Dub Inc, la voix légère mais puissante, capable d’envolées frissonnantes aux sonorités presque raï. Le pendant parfait qui contrebalance à merveille le ragga puissant d’Aurélien. Les deux chanteurs semblent être nés pour travailler ensemble, et les musiciens talentueux qui les accompagnent dans l’aventure lient le tout grâce à une maîtrise parfaite de leurs instruments et aux rythmes exaltants qu’ils en dégagent. Sur scène, les sept comparses se déchaînent et incendient littéralement le public bruxellois, qui ne connaît aucun temps morts. Les titres s’enchaînent, les grands classiques des premiers albums n’étant pas oubliés. Après une prestation rafraîchissante de Frédéric Peyron, le claviériste, à l’accordéon, le groupe nous entraine dans les méandres débordant d’énergie de leur enivrant dance-hall. La foule applaudit, jumpe, agite les bras de gauche à droite, l’air est saturée d’électricité… Puis arrive le moment émouvant du concert avec le morceau ‘Afrikya’. Komla s’adresse à la régie : « Vas-y, éteins tout ! J’aimerais que les gens éclairent eux-mêmes, avec leur téléphone, leur briquet, n’importe quoi qui fait de la lumière… » Une armée de feux follets se met à danser au-dessus des têtes. On se réjouit – et on s’étonne – de constater que pour une fois, la chaleureuse lumière des flammes a le dessus sur la lueur blafarde des écrans tactiles. « Nous dédions cette chanson à tous ceux qui ont souffert par le passé de l’esclavage et qui sont morts aujourd’hui. Qu’ils soient négriers ou esclaves, j’aimerais que de là-haut, ils puissent nous voir ensemble ce soir ! » Et c’est un peu ça, Dub Inc : un groupe qui a la faculté de dénoncer, de contester et d’attirer le regard sur les réalités les plus sombres de notre société, tout en faisant passer un message d’espoir et un sentiment de joie de vivre. « Aujourd’hui, si je ne devais choisir qu’un seul combat, qu’une seule problématique à combattre, je pense que ce serait la violence. On vit dans une société très violente, que ce soit au travers des médias, à l’école, dans la vie de tous les jours », nous a confié Aurélien avant le concert.

La fin du concert se voit gratifiée, sans grande surprise, d’un ‘Rude Boy’ fortement attendu, que le public accompagnera d’une seule voix, en y mettant tellement de coeur qu’elle viendra presque masquer celle des chanteurs. Puis, les jambes encore tremblantes, nous nous dirigeons vers le stand qui attend dans le hall de l’AB, avant que tout le monde ne se rue dessus. Celui-ci est plein de produits “made in Dub Inc” : CDs, posters, sweats, vinyles… « Le dernier T-shirt fut le plus chers à faire imprimer », nous confie un membre du crew qui tient le stand. Et on sait que ce genre de détails comptent pour le groupe, auto-producteur depuis qu’il a vu le jour. « On est totalement indépendant et on souhaite le rester, explique Aurélien. Aujourd’hui, si tu veux faire la musique que tu aimes et la partager, tu ne peux plus passer par les majors et les circuits traditionnels de l’industrie du disque. Un jeune groupe qui débute n’a plus le choix, il doit tout faire lui-même s’il veut arriver à quelque chose. »

Nous quitterons la mythique salle bruxelloise avec un vinyle, un t-shirt et un poster sous le bras. Puisque c’est pour la bonne cause… Et puis, quand on aime, on ne compte pas !

Jonathan Piroux

Photos: Jonathan Boucquey

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