Une rencontre passionnante et passionnée, dans le cadre du festival “La vie en rock”, à Dour, avec le quintet français Bagdad Rodéo. Ils nous livrent ici une interview militante, sans concession, avec des mots crus, comme les vérités qu’ils assènent, à l’instar de leur musique, vigoureusement rock, indépendante, rebelle. Le tout dans un climat serein, entrecoupé de franches rigolades, et avec une longue suite, off, où votre serviteur finira par essayer la Les Paul du guitariste… C’est tout dire: de chouettes gars !

Bagdad Rodéo, c’est au final des gens qu’on laisse s’exprimer, parce que leur point de vue sur la société ou le monde culturel actuel, lucide et réfractaire, doit aussi être dit. Une interview fleuve, dont je vous livre les extraits les plus significatifs…

Scènes Belges : Vous jouez un rock puissant, vigoureux, assorti de textes humoristiques. Et en même temps, vous arborez un visuel: chemises noires, brassards blancs, donnant au public une impression “anarchiste” et militante. On a un peu l’impression de voir jouer des révolutionnaires cubains. Il est important, ce visuel et cette aspect humoristique ? On est au second degré…

Bagdad Rodéo : C’est effectivement du second degré. On a envie d’avoir du show dans nos morceaux. On a des choses à dire, il y a un contenu, et il vaut mieux savoir le dire avec le sourire et avec des mots qui permettent de dé-dramatiser certaines situations. Il y a des choses qui nous dérangent. C’est une grande farce, nous sommes habillés en noirs, avec des brassards, comme des révolutionnaires, mais en fait nous sommes des révolutionnaires de la déconne. En même temps, il y a un fond, et c’est ça le plus important. Malgré tout, il y a un engagement politique, au sens “grec” du terme, pas au sens actuel. Je pense qu’on est là, nous, pour relayer les problèmes de la cité.

S.B. : En même temps, ce n’est pas destructeur, ce n’est pas une opposition bête et idiote. On sent qu’il y a un appel à la réflexion derrière, ou l’appel à une reconstruction…

B.R. : Dire “les flics sont tous des cons, c’est trop facile. D’abord, tous les flics ne sont pas des cons. Nous mêmes, on s’implique, on fait partie de cela. On ne peut pas dire “on est mieux”. Il est important de ne pas porter de jugements hâtifs ou radicaux sur les gens parce que tu risques de perdre ta crédibilité, si tu es trop vindicatif. Il faut toujours nuancer les choses.

S. B. : Vous citez beaucoup de noms d’hommes politiques, mais en même temps, ça reste sympathique. On sent la critique, mais ce n’est pas une attaque virulente que vous faites. Il y a ce côté humoristique: vous tournez le monde en dérision…

B.R. : C’est parce qu’on participe au système. On est pareils que les autres, en fait. On ne veut pas se poser en donneurs de leçons. On est là pour faire un constat de ce qui ne marche pas, et pour dire aux gens: “peut-être qu’on pourrait tous réfléchir un peu mieux, être un peu plus fermes dans notre réflexion, s’intéresser un petit peu plus à ce qui se passe”, sans pour autant donner des leçons et dire aux gens “vous êtes tous des cons” ! Nous sommes exactement pareils !

Il y a plein d’amour derrière tout ça. C’est important ! Tout ce qu’on dit, c’est parce qu’on voudrait que le gens s’améliorent. On ne se veut pas destructeurs ; il y a une forme de tendresse, quelque part. Même sur des morceaux plus légers, comme “J’aime pas les filles”… Il y a toujours cet aspect tendresse, parce qu’on n’est pas des méchants, et on ne veut pas le devenir non plus.

On essaye de réfléchir à tout ce qui se passe. Quand tu cherches un coupable, tu te rends compte qu’il y a toujours plein de raisons, de facteurs qui font ça. Ce serait injuste d’être trop vindicatifs sur les choses. Ce qui nous intéresse, c’est de parler de problèmes dont on est aussi responsables. On n’est pas tous blancs, on ne peut pas donner de leçons de vie aux autres, on n’est pas plus intelligents que les autres, …

S.B. : Les paroles sont plus importantes que votre musique ?

B.R. : Non, parce que les paroles permettent l’accessibilité aux gens. C’est ce qui va donner la trame de ce qu’on pense. Mais au final, les paroles font partie intégrante de la musique. Sans musiques: pas de paroles ! Sans musique qui me touche, je ne peux pas écrire. Chaque musique qui m’est donnée m’inspire quelque chose ! La couleur musicale qui m’est proposée me donne un thème. Ce sont les musiciens qui me donnent le thème. La parole reste l’outil le plus accessible pour les gens. En musique, tout le monde ne comprend pas le solo de guitare… Musique et parole, c’est moitié-moitié.

On aime aussi les contextes. Dans un festival comme ce soir, en faveur de la lutte contre le cancer, ce qui est super, c’est d’avoir un sujet hyper-sérieux, et à la fois de faire la fête pour aider ce truc-là.

Ca colle bien au projet Bagdad Rodéo, parce que c’est un peu le même truc. On aime parler de plein de choses, toujours dans le contexte un peu festif. B.R., c’est assez explosif sur scène. Je pense qu’on ne fera jamais des chansons mélodiques, un peu pop, tristes, ou des chansons d’amour: ça ne nous intéresse pas !

S.B. : Quel est votre processus d’écriture ?

B.R. : Ligne de guitare ou de basse en premier, souvent, et après, les textes, quand j’ai décidé de les écrire… J’aime beaucoup parler, mais je déteste écrire ! C’est dur d’écrire, parce que c’est mettre en synthétique tout ce que tu penses. Et donc, tu n’as pas le droit à l’erreur. Dans B.R., il y a par après un jeu mathématique: pas trop de ceci, plus de ça…  Il faut conserver une ligne. C’est un exercice assez dur. Dans une conversation, tu peux étoffer, te reprendre, argumenter. Sur un morceau de 3 minutes, c’est plus dur.

S.B.: Du rock en français: c’est une évidence ou c’est un challenge ?

B.R. : C’est un putain de challenge, et c’est une évidence en même temps. C’est l’éternel débat. En France, ce qui manque, cruellement, ce sont des groupes qui ont des choses à dire. Beaucoup de groupes choisissent l’anglais parce qu’il n’ont strictement rien à dire: “baby I love you, I love you baby…”

Les mecs: essayez d’écrire en français ! C’est notre langue ! Et puis, il y a un problème de crédibilité : on ne se sent pas monter sur scène avec des “salut, ça va ?”, et puis continuer en parlant comme des Texans… C’est absurde…

En temps que spectateur, je n’entre pas “dedans” si la personne sur scène n’est pas vraie et ne croit pas en ce qu’elle raconte…

On fait de la musique pour qui ? Pour les maisons de disque ou pour nous ? A l’heure d’internet, de la liberté, il faut quitter les maisons de disques ! Ces gens ont de moins en moins de pouvoir. Des groupes s’organisent maintenant tous seuls, font des Zéniths, ont monté leur boîte, leur structure… Ils sont totalement indépendants, ils ont montré la voie à un système.

On n’a plus besoin des maisons de disque ! Ces gens, avec ce qu’ils ont créé comme qualité médiocre dans la musique, honnêtement, ce boulot ne doit plus exister. C’est du vent. Ils n’ont pas été capables d’anticiper le téléchargement et la crise du disque, ils se sont engraissés pendant que les artistes crevaient la dalle. Pourquoi les maisons de disques ne sont-elles jamais au côté des intermittents du spectacle ? On ne les voit jamais, or, c’est ces gens qui les font bouffer ! Ils n’en ont rien à faire des artistes… Ce qu’ils veulent, c’est du fric ! Ils ont la mentalité d’une banque ou d’une assurance, mais ils l’appliquent à l’art. A un moment, ça ne marchera plus…

Nous organisons nos tournées, nous sommes totalement indépendants. On ne veut plus travailler sous contrôle. Ca ne nous intéresse plus. On préfère mal vivre, avec B.R., qu’aller obéir à un mec qui va nous dire comme nous habiller, ce que nous devons faire, comment ne pas sourire sur les photos, …

S.B. : J’entends là de vrais rebelles ! Vous êtes “rock” ! Vous correspondez à la définition même de ce mot !

B.R. : Exactement ! On vit dans une époque où c’est maintenant qu’on a besoin d’avoir des groupes avec des “corones”. Il faut aller de l’avant, créer de nouvelles choses, sinon, qu’est-ce qui va se passer  au niveau culturel ces prochaines années ? Vous ferez tous les “Shaka Ponk” ? Les “Skip The Use” parce que ça a marché ? J’adore Shaka Ponk et Skip The Use parce que c’est les premiers, qu’ils ont fait leur truc et parce qu’honnêtement, Shaka Ponk sur scène, ça défonce, mais le fond… il n’y en a pas !

Le rock est revendicatif, quoi qu’il en soit ! Le rock ne peut pas passer en radio “formatée”, ne peut pas passer sur TF1, … Des radios comme les vôtres (Classic 21…) n’existent pas en France… Des radios nationales qui font ça, on n’en a pas. Au final, on perd quelque chose de qualitatif sur l’art musical. Et c’est dommage !

S.B. : Avez-vous un rituel avant de monter sur scène ?

B.R. : On met nos brassards, et on se fait un bisou ! Et après le show, on va bouffer une spécialité locale…

S.B. : Alors ici, à Mons, goûtez la “Saint Feuillen” ! Merci à vous Bagdad Rodéo, et à bientôt, aux Francofollies de Spa, cet été !

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