Trois disques, des concerts soldout, des fans absolus (et des détracteurs féroces), une seconde tournée dont les salles se remplissent plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire. C’est ça Fauve.
Un collectif, une démarche intime et humaniste qui s’est transformée en phénomène pour une génération.
Vieux Frères-Partie 2 est dans les bacs depuis quelques semaines, la tournée est déjà bien entamée, les festivals annoncent leur présence, l’occasion d’essayer de comprendre, d’intégrer la démarche, de voir ce qui se trame derrière ces mélodies, ces textes et ses images qui font la part belle à une symbolique crue et épidermique.
C’est dans un café proche de l’Ancienne Belgique que nous nous sommes posés, regardés bien dans les yeux et que nous nous sommes embarqués dans une conversation à bâtons rompus.
Un moment qui fait sens. Un moment fort et sans artifice.

Scènes belges : La partie 2 de Vieux frères est disponible à l’écoute depuis quelques semaines et on peut dire que vous avez surpris tout le monde. Que de lumière, que de sérénité et d’apaisement. Que sont devenus l’urgence et la colère de la partie 1 ?

Fauve≠ : C’est vrai. Ce disque a une couleur différente. Il est sans doute le signe d’une évolution, d’un apaisement et d’une forme d’optimisme.
En même temps, l’évolution est rapide. Comme nous sommes dans l’instantané avec Fauve, on a été projetés très vite en avant. On a vécu beaucoup de choses en très peu de temps. Notre ressenti individuel au cœur du projet a été fulgurant, on a été nourri pendant deux grosses années à l’adrénaline. Ce qui se ressent sans doute dans les nouveaux morceaux parce que qu’on est sorti de la tournée précédente avec un sentiment de bonheur, on était apaisé, on se sentait mieux, on vivait mieux les choses donc forcément ça transpire dans cette partie deux.

SB : Cet apaisement justement d’où vient-il ? Du succès ?
Fauve≠ : L’apaisement ne vient pas du potentiel succès ou de l’impact de Fauve. Il vient du fait d’avoir un truc dans ta vie dont tu peux être fier. Jusque-là on avait une insatisfaction de non réalisation dans nos quotidiens. C’est pour ça qu’on a lâchés nos boulots pour se lancer dans le collectif.
Retrouver l’estime de soi, d’être plus à l’aise avec toi-même, c’est arrivé assez vite dès les débuts de Fauve. Avant même l’adhésion du public. Le côté aventure nous a nourris, plus que le succès en lui-même. Si le succès n’avait été pareil, on aurait quand même ressenti cette satisfaction du job accompli.
Bien sûr que cela fait plaisir de voir que le public adhère, les compliments, les mots gentils. Mais si tu tiens compte des avis positifs sans recul, tu dois aussi tenir compte des avis négatifs. Sans ça ce n’est pas honnête.
La différence entre le premier et le deuxième album c’est en effet le passage d’un truc de colère vers l’apaisement, de l’autocentré vers une ouverture à l’extérieur. Dans le premier, il y avait un sentiment général de ne pas lâcher, de se battre avec soi-même pour faire face. L’aventure Fauve a permis de se reconstruire. Avec ou sans le succès, l’évolution aurait été pareille, vers plus de lumière. On le pense sincèrement.
L’apaisement vient aussi du fait que pour nous cet album, c’est la fin d’un cycle.
Le job a été fait. Le chapitre est clos et on en est fiers et heureux. On a vécu quatre années sans répit, avec une instantanéité hyper présente. On avait de l’introspection mais peu de recul. L’immédiat était omniprésent. Ça nous a menés à une espèce de densité qui nous a obligés à nous projeter vers une fin. Sans ça, on n’aurait pas tenu la distance. Cet album, c’est le dernier coup de rein. Après, on se pose. On ne sait pas ce que ça va devenir.

SB : Vous ne savez pas ce que ça va devenir ou vous ne dévoilez pas encore vos projets ?
Fauve≠ : C’est notre luxe en tant que collectif pluridisciplinaire que de nous permet de nous dire que le développement de Fauve passe bien sûr par la musique et l’image mais qu’on a tellement de voies à explorer entre nous. Le collectif fait qu’on a foison d’idées. Le chapitre a été musical jusqu’ici mais est-ce qu’en prenant quelques mois de pause on aura envie de revenir à la musique ou aller vers un autre mode d’expression, de bouger la lumière vers d’autres membres, d’autres talents du collectif.
Nous sommes un moyen d’expression pas une fin en soi. On se met au service de Fauve, de ce « canal ». Au sens propre, on se donne au collectif. Après, on doit aussi se poser des questions par rapport à notre démarche individuelle dans le collectif. De quoi ai-je envie dans ma vie, quelle place je donne à Fauve, quelle place j’y occupe, que me donne Fauve ?
Pour nous Fauve n’a jamais été un plan de carrière. On est à la fin d’un cycle, ça a été notre occupation à temps plein pendant deux années, il est temps qu’on se demande ce qu’on fait là et si on a envie de poursuivre de la même manière.
Le collectif permet de prendre les décisions ensemble. On a tout abandonné pour Fauve. On aurait pu se perdre, on a la chance d’être nombreux, d’avoir chacun nos familles qui nous obligent à réfléchir. C’est important, ce soutien, ces conseils. Au début, quand on s’est investi dans Fauve, le fait d’être plusieurs à tout lâcher pour le projet était rassurant. Il y a beaucoup de bienveillance dans le collectif.

SB : Malgré votre indépendance affichée, on ne peut s’empêcher de penser que certains vont jouer la carte de la récupération, chercher à s’associer à Fauve. Est-ce déjà le cas ?
Fauve≠ : On a beaucoup été contacté par les maisons de disque au début. Aujourd’hui c’est rare.
Pour le reste, c’est anecdotique. Sans doute que les gens avaient compris qu’on n’avait pas le temps. Maintenant que les choses vont s’alléger, on va avoir l’occasion d’y réfléchir. Si on nous propose une association sur un film qui nous parle, on se posera la question. Les combattants par exemple est un film qui a parlé à beaucoup d’entre nous, son réalisateur nous plait. Rien n’est discuté, engagé mais on pense que sur des projets de ce type-là on pourrait être tentés de s’investir.
L’association image/musique nous intéresse. Aujourd’hui on a créé des images pour de la musique qu’on avait déjà créée. Inverser les choses et devoir créer un habillage sonore, une mélodie, une rythmique pour des images, ce serait intéressant.

SB : Votre musique est extrêmement symbolique et pourtant elle revêt une forme d’engagement. Comment on allie ces deux aspects ?
Fauve≠ : Nous aimons mélanger les références, les sémantiques proches du sacré sans forcément être en lien avec une religion particulière. « Les Hautes lumières » est un tableau symbolique. On mélange le sacré et le beau. On ne recherche pas forcément à être en écho d’une croyance particulière.
Notre sentiment c’est que nous avons un vrai engagement à travers les textes mais un engagement humain, local, intime et apolitique. L’idée c’est je suis mon pays et ça a toujours été présent dans Fauve. L’idée de ne rien lâcher mais sans parole universelle. C’est notre engagement à nous, pour nous.
Il y a 20 ans, les chanteurs étaient engagés, ils soutenaient des causes. Nous ne nous retrouvons pas là-dedans. On a envie de créer notre propre lumière, et on pense que si chacun travaillait son propre bonheur, le collectif s’en ressentirait. Sans résignation. On a sans doute une déception vis-à-vis de l’institutionnel, on a pris conscience que ça passait par nous, par l’individu. Que le changement, le meilleur être, l’amélioration implique de compter sur soi. Notre message est positif. Il est humaniste au sens intrinsèque du terme.

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