Samedi, après deux passages estivaux très enthousiasmants (lire ici), Feu! Chatterton venait présenter son premier et déjà très aimé premier album, Ici le jour (a tout enseveli) devant une Orangerie du Botanique pleine à craquer et entièrement acquis à la cause de ces dandys d’un autre temps. Ils n’ont pas déçu, que du contraire, ils ont promis…
20h dans l’Orangerie. On parvient encore à respirer, on en profite. Car d’ici quelques dizaines minutes, il y aura du monde aux pieds des cinq brillants gars de Feu! Chatterton. En attendant, c’est la première partie, et c’est surprenant. Sur scène, Tim Dup. Jeune Français dont le talent semble inné. Un peu Vianney dan la voix (seulement dans la voix!), seul derrière un clavier, le gaillard chante un Français sophistiqué, manié entre mélancolie et poésie. Mieux, de sa voix si fragile et si impressionnante à la fois, il séduit. Par sa simplicité et sa timidité. Si personne n’avait entendu de lui à Bruxelles auparavant (sauf peut-être les copains français venu faire leurs études de par chez nous et que le jeune artiste était bien content de pouvoir revoir) et que le secret était bien gardé jusque-là, Tim Dup a pris date!
Un vrai artiste qui aurait pu voler la vedette à beaucoup d’artistes. Mais voilà, après lui, il y avait Feu! Chatterton, révélation parmi les révélations dans le paysage français de ces dernières années. Un charisme, un sens du texte élégant et une musique inspirante faite du meilleur des quarante dernières années, du psyché au reggae (un hallucinant Harlem, sorte de critique fiévreuse d’un monde touristique décadent), en passant par la pop ou le slow rock. “Incandescents cadavres pour vous servir”, Feu! Chatterton se présente ainsi par la voix d’Arthur Teboul, une voix dingue et héritière des plus grands.
La filiation fait apparaître Bashung et Gainsbourg dans l’ombre, mais aussi Ferré, Nougaro ou même un Bécaud. Un Bacon passe non loin. On se dit “Wouaw”, mais c’est bien plus que ça car le quintet crée aussi son propre univers! Assurément, ces hommes-là sont au service d’une beauté ancestrale, qu’on avait peut-être perdue. Chez Feu! Chatterton, tout touche. Tout bouleverse, même. De cette force de conviction dans l’interprétation au voyage thématique et onirique qu’il propose sans oublier la variété proposée dans chaque chanson. Puis, quand même, ça faisait longtemps que nous manquions de textes comme ça, triturés et travaillés. De quoi donner envie de rouvrir un bon vieux dico à la redécouverte des subtilités et des trésors de la Langue Française. Mais, attention, le groupe n’est pas prétentieux pour autant, pas plus intello, que du contraire!
Dans la salle, le public hétéroclite (peu de “jeunes” finalement”, pas mal de trentenaires, des belges naturellement mais aussi des Français sans doute surpris par le sold out précoce des salles près de chez eux) en prend plein les mirettes. Les applaudissements à la fin de chaque chanson redoublent, c’est l’euphorie, les cris, des petites standing-ovation. Les musiciens comme le chanteur semblent surpris de cet accueil plus que chaleureux, ils sont désarçonnés mais se subliment encore un peu plus par leur musique parfois très hors-format (plus de 15 minutes pour le quadriptyque fantastique Bic Médium). On est bien loin du format radioet Côte Concorde vient chahuter le bateau ivre de musique, créant tempête sur scène.
Puis, même si le groupe est encore très jeune, il a déjà cette idée de la perpétuelle réinvention. Comme sur la chanson La Malinche, déjà connue par coeur par les spectateurs, qui a pris un virage inattendu dans son final: le temps de quelques instants, l’Orangerie s’est transformée en vrai club. De l’heure dense (pas jouée lors de ce concert) à l’heure dance! Feu! Chatterton, on le redit, a toutes les qualités pour faire parler la poudre. Et bien plus, en sept ou huit années de concerts acharnés, j’ai assisté à quelque chose que je n’avais jamais ressenti auparavant: comme une goutte d’eau se noie dans la mer pour mieux faire des vagues salvatrices. Feu! Chatterton, c’est une naissance de goût qui marque et marquera les esprits, car des miracles comme ça, il n’y en a pas cent! Samedi, nous étions quelque 600 personnes à assister à la naissance de ce premier disque bourré de pépite sur scène. Et après 1h40 de concert et deux rappels phénoménaux, on en aurait encore bien pris pour des heures!
Feu! Chatterton reviendra chez nous le 19 mai au Cirque Royal, dans le cadre des Nuits Bota!
