Dolziger Str. 2, le nouvel album de Odezenne est dans les bacs depuis une semaine. Nous avons pu le découvrir à l’oreille, bien sûr, mais aussi sur scène, puisque le trio bordelais déversait jeudi dernier son ego-trip vénérien sur les planches d’un Bota plein à craquer. Mochélan était aussi de la partie en assurant la première. Une double injection de ce rap garage dont on vous livre notre digestion. J’ai dit rap?

Depuis l’EP Rien, sorti en 2014, Odezenne semble avoir définitivement laissé de côté son hip-hop aux samples jazzy mais jamais cheezy, matiné d’extraits de films oldies, pour quelque chose de plus vibrant et immersif, saturé d’electro-beats oppressants et de phrasés ternes mais pesants. Avec Dolziger Str. 2, Odezenne ramène le rap et le spokenword à la poésie, écoulant ses textes raffinés comme un brainstorm chorégraphié de syllabes, au-delà de la lourdeur du spleen qu’elles véhiculent. Alix et Jaco, les deux voix du groupe, excellent désormais dans l’art d’épicer la platitude de leur flow au point de le rendre délicieusement acerbe. La verve est fluide, cohérente, et arbore la mélancolie du branleur comme figure de style.

Vilaine comme une chienne dans une bouche dégueu,

Vodka dans la tête y’a d’la housse de goût,

Vas-y dans la fête, cet étrange négo,

Doudou se dégoute, doudou doute

odzn
Des mots sombres, sales, qui évoquent l’ennui d’un club miteux à moitié vide et resucent comme sujets de prédilection l’ivresse, l’amertume, l’envie, 
la drogue, les bad-trips, les angoisse nocturnes. Et le cul, bien sûr… Car le cul fait résolument partie de l’ADN de son répertoire, Odezenne rend par moment sa beauté à la crudité gonzo et alcoolisée de références sexuelles quasi omniprésentes.

Souvent la tête dans la cantine, je dessine je dessine, le goût amer de ta cyprine, mes babines, mes babines

Odezenne nous rappelle que l’esthétique de l’appétit trouve aussi sa grâce dans son ressenti brut, dans son premier degré. Une pulsion, c’est avant tout beau car c’est une pulsion, de part son animalité. Le groupe aime prendre à contre-courant la métaphore de « l’amour qui donne sens au désir », en détournant les codes du désir pour évoquer l’amour. Ainsi en est-il pour Je veux te Baiser, chanson figurant sur Rien, dont le clip s’apparente à une version porn de La Boum et illustre parfaitement les lectures à double sens dans lesquelles l’oeuvre d’Odezenne puise son essence.

Clito clignotant, je sens tes cuisses toutes moites

Si l’amour est à gauche, priorité à droite

On traverse l’album à la manière d’un road movie dont chaque halte fait écho à sa propre référence, mais sans qu’on ne puisse réellement marquer l’arrêt sur l’une d’elles. Le style de Mattia, à la prod, échappe ainsi à toute étiquette grâce à des compositions qui empruntent à tant de choses qu’il serait plus facile d’en définir le genre par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est. « On n’est pas un groupe de rap ! En fait, j’ai dû faire du rap pour apprendre à ne plus en faire », confiait-il à nos confères de FaceB lors de la sortie de Rien. Ainsi, l’ensemble tend à se raccrocher (j’ai dit “tend”, hein !) à ce qu’a réussi à populariser Fauve – l’exaltation en moins. Odezenne possède une identité qui lui est propre, construite sur un patchwork d’inspirations rondement agencées. Entre les ballades flétries aux accents de Gainsbarre (Cabriolet) et les grésillements épileptiques et décousus d’une electro résolument française (Satana), l’album flirte avec le côté obscur de la variet’ de série Z en y insufflant des tonalités de l’étrange aux accents de Twin Peaks. Certains morceaux nous offrent d’entrainantes et coquettes rengaines (Bouche à lèvres), ainsi que d’enivrantes envolées. À la manière de Souffle le Vent, dont le texte est emmené par une disco de salon digne d’une romance de carte postale délavée.

Arrivé au terme de Dolziger Str.2, il nous restera peut-être en bouche la saveur légèrement amère – ou salée – d’un truc qui aurait pu être plus abouti, mais qui trouve dans son déséquilibre maîtrisé une certaine forme de réalisme, sombre et frais à la fois.

Odezenne et Mochélan sur les planches du Bota

Jeudi soir, le Bota grésillait donc comme une ode zen et nonchalante au flow moche et lent, mais tellement franc, de cette nouvelle génération de MCs qui sortent le rap de son ghetto en harmonisant les ingrédients de son identité avec une relecture décomplexées des codes de la chanson française.

En première partie, Mochélan nous en offre une remarquable mise en bouche. La dernière fois que j’avais croisé sa route, c’était sur la scène découverte d’Espéranzah!, où il m’avait totalement conquis par la couleur de son flow aux relents de terroir carrolo. Etalant un slam pluvieux à la verve appuyée, l’enfant des terrils semblent gagner en assurance au fil des dates, au fil des scènes. À chaque fois que je le vois, je l’aime un peu plus. Nous reviendrons d’ailleurs sur Image à la pluie, l’album de ce désormais grand bonhomme du patrimoine hennuyer, très prochainement sur Scènes Belges.

Odezenne embraye à 21h pile. De vieilles ampoules en bout de vie pendent ci et là au-dessus de la scène, propageant dans l’atmosphère embrumée de fades halos orangés. D’emblée, le trio nous immerge dans son ambiance ‘garage squat’ importée de toute pièce, nous suffoque et nous hypnotise de sa grisante nonchalance. Les morceaux s’enchainent rapidement et ne sont ponctués que par de très rares prises de paroles. Le set se structure autour de l’alternance constante entre le flow posé des MCs et l’épilepsie stromboscopique de l’instru et du light-show. L’ensemble est noyé dans une soupe de basses qui fait office de chape de béton, sans que l’on ne soit en mesure d’affirmer s’il s’agit d’un effet de style ou d’un problème de balance. S’en dégage une voluptueuse puissance qui nous saisit à la gorge d’une poigne ferme bien que gantée de velours.

Au final, nous retiendrons du concert d’Odezenne une véritable prouesse live, faisant la part belle à une guitare lancinante qui sait prendre son public en otage, capable de balancer des riffs vibrants et stressants, qui font parfois l’effet d’une paire d’ongles sur un tableau noir ; sensation oppressante mais tellement à propos qu’elle en devient délectable.

Odezenne ne reviendra plus en Belgique avant un bon bout de temps, et entame une tournée dans toute la France. Mais nous ne pouvons que vous conseiller de vous jeter sans plus attendre sur l’album!

www.odezenne.com
Concerts

27.11.2015 – Nantes – Stéréolux
03.12.2015 – Strasbourg – La Laiterie
04.12.2015 – Lyon – Ninkasi
05.12.2015 – Montreux – Le Ned
09.12.2015 – Clermont-Ferrand – La Coopérative de Mai
10.12.2015 – Toulouse – Metronum
11.12.2015 – Montpellier – Rockstore
12.12.2015 – Marseille – Le Moulin

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