C’est le moment, c’est l’instant. En femmes et hommes heureux que nous étions et que nous voulions être, nous avons été nombreux à applaudir, que dis-je, à acclamer le talent d’un maestro hors-pair doublé d’un génie ultra-talentueux. Le temps d’un peu plus de deux heures, William Sheller en capitaine (qui n’a pas perdu la raison) nous a entraîné dans les doux horizons de chansons toutes merveilleuses. Le charme est intact, l’aura est magique, et le Cirque Royal anoblit une nouvelle fois le mélodiste imparable.

Mais avant tout, William est aussi sympathique que bavard, rien ne presse et autant prendre le temps et le plaisir de la scène. À contre-temps et alors que 99,9% des artistes commencent leur tour de chant en chansons, William prend la peine (mais si, mais si, ça en vaut la peine pour être un homme heureux) de s’adresser à son public, de prendre de ses nouvelles, de personnaliser et de Bruxelliser l’échange. De cette ville, il a des photos-souvenirs, notamment avec le Quatuor Stevens, ses deux hommes et femmes qui ont pris l’habitude d’accompagner de leurs cordes les dates live du beau William, témoin extraordinaire de l’amour accompli entre un piano et ces cordes sachant se faire douces mais aussi violentes, expressives toujours.

Pourtant, ces cinq-là ont fait le choix de se dire au revoir après bientôt dix ans de fantastique collaboration, ils ont fait le tour et William dit qu’il reviendra dans une formule plus énergique. Mais pour qu’il y ait aux revoirs, encore faut-il que le spectacle commence. Les carnets (on n’a pas vu s’ils étaient à spirales, mais leurs compositions doivent être bien sympathiques) s’ouvrent à la volée, la musique prend le pouvoir et William court tout seul. Enfin, c’est ce qu’il chante car le public est tout acquis à sa cause, heureux de retrouver un géant parfois oublié. Un magnifique magicien qui n’a rien perdu de son pouvoir vocal, la voix est toujours adolescente si singulière. Et elle nous emporte irrémédiablement.

Puis, Sheller nous présente Nicolas, un petit garçon qui émerge de ses souvenirs, moins dramatiques mais baignant dans une soupe aux poireaux (en français dans la prononciation) puant d’une voisine qui l’hébergea autrefois. L’humour est de mise et on se prend à croire que, pendant quelques secondes, c’est Jean-Pierre Coffe s’adresse à nous, toute proportion gardée. Un séjour dans Son Hôtel, on imagine les fenêtres, le fond de l’air, les paysages, la musique de Sheller est si évocatrice. Puis, William ne vole pas la vedette à son quatuor virtuose, s’éclipsant quelques minutes pour  le laisser nous conter l’histoire de la sorcière Babayaga ou du monde magique de Pepperland, librairie de BDs qui fit les beaux jours de la Rue de Namur à Bruxelles.

Car oui, William Sheller ne cesse de livrer ses anecdotes. Mieux, à chaque commentaire sur ses chansons, il nous invite à nous faire petites souris pour mieux être témoins du processus de création qui est le sien, tantôt dans une chambre d’hôtel, tantôt allongé près d’un étang ou absorbé par le charme d’un tout vieil autobus. Puis, une fois ou l’autre, William Sheller bute sur une chanson, il s’en amuse, car oui, il s’amuse toujours, lâchant parfois la maîtrise pour tutoyer l’improvisation.

De voyages dans le passé en retour vers les présent (avec quelques morceaux de son album “de synthèse” Stylus comme le magnifique Bus Stop), Sheller tisse une setlist de morceaux connus mais aussi moins connus, et tous témoignent de la richesse de ce répertoire hors-norme. Le choix des chansons est parfait, elles crépitent comme des pépites mais comment échapper à la frustration quand on aurait voulu entendre telle ou telle chanson: ce sont les dommages collatéraux d’un répertoire dont rien n’est à jeter. Et tant mieux. Le public est fier et fou de ce chanteur sublime et entend bien repousser l’échéance, quitte à jouer les filles et les garçons de l’aurore. Et quand vient l’heure du rappel, c’est la standing ovation. Et là voilà, la chanson: quelques notes de piano, et voilà un Homme heureux. À franchement parler, ça fait longtemps que tout le monde l’est! Les applaudissements redoublent et William Sheller ne peut s’empêcher de terminer en refermant le Carnet à spirale. Mais on sait qu’on le rouvrira souvent celui-là pour laisser cours à nos si beaux souvenirs.

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