C’est un franc mais frais rayon de soleil digne d’une fin de mois de novembre qui accueille les festivaliers pour cette avant dernière nuit du festival bruxellois. C’est donc équipés de bonnets, d’écharpes et de chaudes doudounes qu’ils se pressent doucement mais sûrement dans les allées et jardins du Botanique. Sous le Chapiteau il y a une grosse soirée à tendance franchement électronique qui se prépare : Glauque, Kap Bambino, Kompromat et Molecule.

 

Comme chaque soir c’est à 19h30 que les enceintes viennent à cracher leurs premières vagues de décibels. Ce sont les finalistes du Concours-Circuit 2018 qui investissent la scène pour une grosse demi-heure. Glauque c’est cinq types sans prétentions qui se situe quelque part entre un rap sous haute-tension, de l’électronique bien présente mais dosée avec justesse et quelques accords de guitares nerveux qui font rapidement penser aux Bordelais d’Odezenne. Quant à leur dégaine elle rappelle immanquablement celle du collectif Fauve, à la carrière aussi fulgurante qu’éphémère. Quand on les voit monter sur scène, on a l’impression de voir cinq étudiants en informatique qui se demandent un peu ce qu’ils font là. Mais dès que les deux frontman entrent en action, accompagnés de leurs trois magiciens des claviers et autres machines, on comprend que les mecs ne sont pas là pour faire de la figuration. Ils vivent leurs textes, comme habités par les personnages qu’ils incarnent, balançant entre névrose, colère, rage, poésie, romantisme et (dés)espoir. Ça prend aux tripes avec de lentes montées où leur phrasé devient plus saccadé, plus hurlant, toujours accompagné par cet habillage musical au moins tout autant sous tension, et ce jusqu’à l’explosion mélodique de refrains tendus. Ils amènent de belles choses là où l’ombre semble dominer. Et c’est un public curieux et attentif qui a déjà bien rempli le Chapiteau pour voir ce qui pourrait bien devenir le prochain groupe incontournable de la scène belge. Pour l’instant leur titre “Robot” est le seul extrait disponible sur les plateformes de streaming et les réseaux sociaux. On attend la suite avec impatience, surtout au regard de ce qu’on a vu ce soir.

C’est ensuite le duo français de Kap Bambino qui s’empare de la scène pour envoyer la sauce en version électro-punk. Sur scène on retrouve une fille au chant, chevelure blonde, vêtue d’une robe de petite fille maléfique, et un chevelu qui s’affaire aux machines. Sur papier ça peut taper fort, même très fort et ils y mettent l’énergie pour. Mais en définitive il manque un petit quelque chose pour faire décoller l’affaire pour de bon. Et surtout, pour quiconque qui a déjà vu Crystal Castles, groupe Canadien dans la même veine musicale, Kap Bambino ne sera qu’une copie conforme, aussi bien visuellement que vocalement et musicalement, jusque dans la gestuelle de la chanteuse sur scène. Mais une copie n’égale jamais l’original, malheureusement. Cependant le traitement musical est plus subtile et affiné. Pour les autres, pas de soucis. Malgré tout, la seconde partie du concert décolle et le plancher se transforme petit à petit en dancefloor de plus en plus remuant. C’est donc au final dans un chapiteau gaiement retourné que leur concert s’achève.

Au bar, il faut jouer des coudes et se montrer rusé pour atteindre le saint-graal comptoir qui permet de s’abreuver généreusement. Et les vingt minutes de battements entre les concerts sont justes suffisantes pour se ravitailler. Pas question de louper le début de Kompromat, qui constitue aussi bien la tête d’affiche que la curiosité live de cette nuit. “Kompromat”, ou en français “dossier compromettant” est le nouveau projet musical imaginé par Vitalic et Rebeka Warrior (Sexy Sushi). On les a déjà vu collaborer ensemble à plusieurs reprises : en 2011 le temps d’un remix du titre de Sexy Sushi “Oublie moi” et en 2012 à l’occasion dévastateur duo répondant au nom de “La Mort sur le Dancefloor”. Ici ‘c’est un album complet qu’ils ont pondu : Traum und Existenz.

C’est un public impatient et bien excité qui attend l’arrivée du duo sur scène. Scène sur laquelle sont posées des lettres lumineuses qui écrivent le nom du projet. Il y a aussi une batterie de PC et machines pour que Vitalic puisse bidouiller le son à outrance, comme il en a l’habitude. Et un pied de micro pour Rebeka Warrior qui arrive sur scène avec des lunettes noires plaquée sur son visage. C’est donc sous les cris et les applaudissements qu’ils entrent en scène et attaquent d’entrée de jeu avec le titre d’ouverture de leur album, le mystique “Possession” où s’alternent des voix d’enfants en français avec le chant en allemand de Rebeka. Musicalement on est perdu quelque part dans une banlieue berlinoise, au sein d’un environnement punk et post-industriel du milieu des années 80 dès que les premières lignes de basse et notes résonnent. A partir de là le duo nous embarque sans signe avant coureur dans un voyage sombre et hypnotiquement dansant fait de fumigènes et d’autres lasers qui forment parfois un grillage entre la scène et la fosse. La grande majorité de ce premier album est passée en revue dans des versions bodybuildées qui font souvent penser à Front 242. Les titres phares de l’abum prennent toute leur puissance en live : Herztod et surtout l’oppressant et suffoquant “Le goût des cendres”. L’ambiance a quelque chose de post-apocalyptique et pourtant l’énergie générale est à la danse. Entre deux volées de stroboscopes et de sons cadencés par des distorsions en tout genre, le chant de Rebeka se veut parfois langoureux, parfois hystérique.

Au bout d’une quarantaine de minutes, le duo est rejoint par l’actrice Adèle Haenel pour le très beau et touchant “De mon âme à ton âme”, une sorte de déclaration d’amour très intime. Et ensuite, on réenclenche la machine pour un dernier round suffoquant avec la version habillement retravaillée de “La Mort Sur le Dancefloor”. Un rappel furieux, et pas vraiment prévu (l’ingé son avait déjà coupé le son en façade) plus loin les lumières se rallument pour de bon. La claque fut sombre, mais bonne.

Pour finir la soirée, les danseurs se laisseront bercer par les beats et les boucles technoïdes aux accents de rave partie de Molécule qui aura malheureusement dû se passer de son écran et des projections qui aurait dû l’accompagner. Mais la puissance du son suffira amplement à faire danser les ravers jusqu’à une heure avancée de la nuit. Contrairement à beaucoup de dj/producteur actuels, Molécule ne se contente pas de faire monter la pression à intervalle régulier avec les explosions traditionnelles de rythmes effrénés qui suivent. Non il y a une approche plus sensorielle, plus instinctive du rythme, faite de va-et-vient, de montée et de descente sans pour autant générer de la frustration chez les danseurs. Ce fragile équilibre est une recette à la fois fascinante et précieuse.

 

A la fin de son set qui achève la soirée, il ne reste plus qu’à aller danser dans les rues de la ville pour continuer à se réchauffer en cette froide nuit.

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