THYLACINE fait partie d’une certaine scène en France qui cherche à donner de l’âme et de l’émotion à la musique électronique. William Razé de son vrai nom, saxophoniste et compositeur, est probablement un des artistes les plus intéressants de ces dernières années dans le milieu de l’électro. A 26 ans il a déjà rempli deux fois l’Olympia de Paris, rien que ça.  A son compteur figurent un premier album enregistré à bord du Transsibérien en Russie, un second enregistré  dans une caravane aménagée en studio au cours d’un périple à travers l’Argentine, et très récemment un morceau enregistré au sein du château de Versailles. Chez Scènes Belges on s’est dit qu’il y avait autre chose que de froids logiciels informatiques et des samples derrière tout ça. On est donc allé rencontrer Thylacine, dans le cadre du Festival Esperanzah! où il se produisait le vendredi 2 août. Retour sur une rencontre avec un homme aux allures de solitaire mais cherchant à partager et à échanger avec le public sa vision du monde et ses émotions grâce à sa musique et aux images qui l’accompagnent.

 

 

Jean-Yves pour Scènes Belges : Peux-tu un peu nous expliquer comment tu es arrivé à la musique ?

Thylacine : J’ai commencé la musique au saxo quand j’avais six ans. Après j’ai fais de la musique classique, de l’orchestre, du jazz, j’ai un peu bossé au conservatoire. J’ai pas mal joué dans des petits cafés et concerts de jazz en fait. J’ai ensuite joué dans des groupes de musiques plus actuelles, du rock notamment. Et donc finalement je suis arrivé à la musique électronique assez tardivement. J’avais vraiment envie de composer mes propres morceaux, de raconter quelque chose, de transmettre une émotion, une ambiance. La musique électronique permet de faire ça. C’est un milieu que je connaissais assez peu en fait et que j’ai découvert en même temps.

SB : Est-ce que tu te considères plus que comme DJ, producteur ou saxophoniste ?

Thylacine : Alors DJ pas du tout parce que je ne mixe jamais, je ne joue pas sur des platines. Ce sont toujours des lives que je fais où je joue avec des machines. Je ne sais même pas faire le DJ en fait. Mixer des titres qui ne sont pas à moi c’est quelque chose que je ne fais jamais. Par contre je me considère plus comme producteur et saxophoniste aussi. Mais le saxophone c’est quelque chose qui est un peu de l’ordre du passé malgré que j’aime bien le réutiliser de temps en temps. Je le maîtrise et j’aime bien m’amuser avec et c’est comme ça que je peux parfois mélanger la production et le saxo quand ça marche bien.

SB : Tes deux premiers maxis tu les as enregistré entre les quatre murs de ta chambre, et ensuite tu pars sur les rails du Transsibérien en Russie pour ton premier album et sur les routes de l’Argentine pour le deuxième. Pourquoi ce changement radical ?

Thylacine : Je suis arrivé à un constat sur la manière avec laquelle je créais. Les ingrédients dont j’avais besoin pour être productif et ne pas tourner en rond étaient ailleurs. Alors oui ça marchait au début parce que c’était mes premiers morceaux mais après plus ça allait plus c’était compliqué et j’avais l’impression de ne pas raconter grand chose. Je me suis rendu compte que plus je voyageais plus il y avait quelque chose d’évident, de plus productif et j’allais dans des directions plus intéressantes au niveau créatif. Voyager ça me permet aussi de me couper de tout, de ne pas avoir des rendez-vous et des interviews en même temps qui vont venir casser le processus de création. C’est hyper stimulant de se lever et de n’avoir que ça à faire dans des endroits hypers inspirants, en rencontrant des gens et des nouvelles cultures, en écoutant des nouvelles musiques et en enregistrant de nouveaux sons.

SB : Et du coup, alors pourquoi être parti dans le Transsibérien pour 3 semaines, et pas ailleurs ?

Thylacine : A l’époque je faisais beaucoup de concerts et je voyageais en train pour m’y rendre avec mon petit matos. Je trouvais que c’était un environnement qui était vraiment agréable pour composer, avec la vitre et le paysage qui défile.  Je travaillais avec un casque donc je pouvais m’isoler. Ça m’allait très bien, alors autant chercher le train le plus long du monde et voir si j’étais capable de créer et raconter toute une histoire avec le Transsibérien. C’est le plus long du monde et en plus il est assez lent ce qui me laissait du temps donc. Il en a découlé un album et pourtant j’étais parti sans objectif particulier parce que c’était assez court dans l’absolu.

SB : Tu aménages ensuite une caravane en studio d’enregistrement autonome et tu pars en Argentine. Pourquoi cette destination ?

Thylacine : L’idée initiale c’était de faire un studio d’enregistrement. Quand je suis rentré du Transsibérien je me suis dit que c’était génial de composer en voyageant, en étant dans des endroits différents et en rencontrant des nouvelles personnes chaque jour. J’avais absolument envie de continuer dans cette démarche là mais sans pour autant refaire ça dans un autre train. Ça aurait de toute façon été compliqué de faire mieux que le Transsibérien. J’avais besoin de m’affranchir des quelques contraintes et du minimalisme technique que j’avais dans le train. Je voulais vraiment avoir un vrai studio professionnel avec un vrai confort de travail et de composition. Et en plus la caravane me permettait de maîtriser mon itinéraire, ce qui n’était pas le cas dans le train.

SB : On imagine donc bien que cette caravane ne va pas rester au garage, surtout que ce second album s’appelle “ROADS vol. 1”. La suite ça sera où ?

Thylacine : L’Argentine était effectivement un premier périple. Il y a plein de choses qui font que c’est là-bas que j’avais envie d’aller, que l’Argentine m’appelait. Maintenant en amenant ce studio mobile dans des endroits très différents ça va faire naître une musique très différente aussi j’espère. Donc oui le but c’est de faire d’autres volumes comme ça avec cette caravane. Mais pas que. C’est bien aussi de faire des morceaux hors de ce contexte.

SB : Justement, il y a quelques semaine il y a le titre “Versailles” qui est sorti. Comme son nom l’indique tu l’as enregistré au sein du Château de Versailles. Comment tu as atterri là ?

Thylacine : C’est une expérience de dingue. C’est un privilège que j’ai vécu comme un voyage dans le temps. J’ai la chance d’avoir quelqu’un qui travaille pour le Château de Versailles dans mon entourage. Il aime beaucoup le rapport que mes morceaux pouvaient avoir avec un lieu. Il s’est dit que si je venais travailler à Versailles on pourrait vraiment avoir un morceau qui raconte un peu l’histoire du lieu. Il y a énormément de matières et d’éléments sonores à chercher là-bas. C’était une ambiance complètement folle parce j’arrivais le soir quand c’était fermé au public et j’y restais jusqu’au milieu de la nuit à m’y balader tout seul. C’est quelque chose d’extrêmement inspirant.

SB : Parlons un peu de tes concerts. Sur scène ton set est sonore et aussi très visuel avec pas mal de projections et de jeux de lumières. Est-ce qu’il est possible pour toi de faire du son sans l’image ?

Thylacine : Pour moi il y a toujours une histoire visuelle qui est liée aux morceaux. C’est toujours en phase avec les endroits et les paysages où je compose. J’ai l’impression de ne pas tout raconter si je ne raconte pas aussi visuellement tous ces endroits, tous ces périples et ces personnes. Les deux sont très liés. Je viens des beaux-arts et j’ai toujours adoré mélanger musiques et images. Je le fais aussi sur un autre volet quand je travaille sur de la musique de film. Les deux ont énormément à s’apporter, que ce soit dans les concerts, dans les clips, dans les pochettes. Ça m’emmerdait beaucoup de ne faire que de la musique je crois. Je passe autant de temps à travailler les aspects visuels que le son et la musique.

SB : Mais c’est la musique qui engendre l’image ?

Thylacine : Pas toujours. Il y a des projets comme “War Dance” qui est un clip que j’ai fais avec le réalisateur Cyprien Clément-Delmas. Il est venu avec cette histoire qui raconte que les Russes et les Ukrainiens font des chorégraphies avec les tanks quand ils ne se battent pas. J’ai créé un morceau pour ce projet du coup. C’est donc aussi quelque part l’image qui peut inspirer du son. Et moi quand je pars en voyage c’est aussi l’image que j’ai en face de moi qui va inspirer le son.

SB : Pour le passage du studio à la scène, comment est-ce que tu construis ton set , que ça soit en salles ou en festivals ?

Thylacine : C’est plutôt ma façon de jouer qui va être différente. D’un point de vue technique je peux me permettre d’improviser et de jouer les morceaux de différentes façons. Un soir un morceau peut durer deux minutes et le lendemain six minutes. Je peux les jouer de manière très douce ou alors de manière très rythmée, très techno. Du coup je peux faire des sets où je vais me balader en fonction de l’énergie et de l’ambiance. Par exemple en festival, en fonction de l’heure où je joue, du lieu, du public, de l’ambiance générale je peux faire des sets très explosifs et rythmés et d’autres beaucoup plus calmes. En salle je peux me permettre d’aller plus en profondeur dans les morceaux, de chercher plus l’émotion.

SB : Et quel a été jusqu’à maintenant ton meilleur concert ?

Thylacine : Le dernier Olympia que j’ai fais, ou peut-être le premier je ne sais pas. C’est quelque chose d’assez incroyable en termes de puissance et d’émotions. Après j’ai fais des concerts au milieu de nul part où personne ne me connaissait, en Indonésie ou au Mexique. C’est parfois hyper agréable de partir de zéro et de pouvoir emmener les gens avec toi.

SB : Ton coup de cœur musical du moment ?

Thylacine : Un Allemand qui s’appelle Ben hmer. J’aime beaucoup ce qu’il fait.

SB : Ta collaboration rêvée ?

Thylacine : Un vieux truc improbable que mes parents écoutaient, c’est un musicien Italien qui s’appelle Paolo Conte. J’adore sa voix.

SB : Ton titre culte ?

Thylacine : “Time” des Pachanga Boys

SB : Dernière question, d’un point de vue plus personnel, si tu devais te définir est-ce que tu serais plus le roman “Into The Wild” de Jon Krakauer ou “Sur La Route” de Jack Kerouac (deux romans adaptés au cinéma) ?

Thylacine : Ah! (ndlr : il prend un long moment de réflexion avant de répondre) En tout cas j’espère plus finir comme “Sur La Route” qu’ “Into The Wild” (rire). J’ai quand même un côté très “Into The Wild”. Mais un voyage comme ça c’est quelque chose qui se partage. Quand je pars voyager c’est important pour moi de pouvoir aussi partager tout ça. C’est pour ça que je reviens aussi, pour partager et échanger ça avec le public. Donc les deux vont ensemble. Mais je ne ferai pas ce trip à la “Into The Wild” à fond. Je suis donc peut-être plus Kerouac quand même.

 

Pour rappel, Thylacine sera en concert à La Madeleine à Bruxelles le vendredi 25 octobre 2019. Son second album intitulé “ROADS vol.1” est sorti début 2019 et on vous conseille vivement d’aller y jeter une oreille attentive, tout comme son premier album sorti en 2015 et nommé “Transsiberian”.

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