Le Botanique en proie à une décharge émotionnelle avec Surf Curse
Nicholas Rattigan est à la tête de deux projets on ne peut plus enthousiasmants. Avec Current Joys, il s’adonne à un travail d’introspection et dévoile ses obsessions les plus récurrentes ; avec Surf Curse, il allie amitié et spontanéité aux côtés de Jacob Rubeck, son ami d’enfance. Depuis la formation de ces derniers en 2013, leur réputation va bon train sur les internets mais reste globalement cantonnée outre-Atlantique. Avec Heaven Surrounds You, sorti il y a quelques semaines, ces pépites de la scène rock DIY dégotent les clés de la tournée européenne et nous font l’honneur de leur présence au Botanique.
C’est dans le Witloof Bar du Botanique que Surf Curse nous donne rendez-vous pour une soirée indécemment courte. Pas de première partie annoncée ; les spots n’éclaireront que Nick et Jacob, accompagnés sur chaque morceau de deux autres musiciens (un bassiste et un second guitariste). Sans tarder, ils commencent le concert avec « Heathers » et son air entêtant bercé de « ooooh-ooooh » qui donnent envie de sauter pieds joints sur une pizza quatre fromages. Le tempo est bien plus rapide en live que sur la version studio, la guitare doublement présente, ce qui accentue l’irrésistible envie de pogoter.
En revanche, cette formation Ă quatre est dĂ©cevante Ă plusieurs Ă©gards… Ce qui dĂ©tonne dans le duo, c’est prĂ©cisĂ©ment leur minimalisme. En effet, la polyvalence de Rattigan (batteur et chanteur, mais aussi guitariste sur son projet solo) est tout aussi attachante que l’est son dĂ©sir de prouver qu’on peut faire de la musique Ă partir de pas grand-chose. La relation exclusive guitare/batterie donne au groupe une libertĂ© rude mais crĂ©atrice ainsi qu’une sonoritĂ© particulière qui se dĂ©tache de celle qui ressort habituellement des formations Ă quatre. En plus d’ôter un chouia d’authenticitĂ© Ă la performance, cet amĂ©nagement ne tient Ă©videmment pas compte de l’exigĂĽitĂ© de la scène ; Nick, cachĂ© derrière une colonne de briques, restera invisible pour la plupart des spectateurs.
Le groupe enchaine avec trois titres issus du nouvel album : « Maps to the Stars », « Safe » et « Midnight Cowboy ». Sur cet album, le son est plus propre qu’à l’accoutumĂ©e et l’instrumental est bien moins minimaliste ; celui-ci dĂ©voile une forme de maturitĂ© ainsi que la volontĂ© du tandem d’aller plus loin musicalement. Si l’écoute de l’album studio laisse un arrière-gout Ă la The Cure assez inquiĂ©tant, la performance live me rassure en raison de sa simplicitĂ© singulière et ses rĂ©sonances toujours underground. Le groupe n’a dĂ©finitivement pas perdu l’ambition de flirter avec la catharsis. Certes, on se sent Ă l’étroit dans ce Witloof Bar, on n’y voit rien, on meurt de chaud, mais les endroits les plus « insolites » sont peut-ĂŞtre les plus adĂ©quats, en fin de compte. Nick s’exclame d’ailleurs, entre deux frayeurs (j’imagine que c’est la première fois qu’il voit des voutes en brique) : “THESE WALLS! I can’t see anything, but I can feel the energy”.
Le concert se dĂ©roule Ă la vitesse grand V. Un titre sur deux est tirĂ© des anciens opus et c’est jouissif d’assister Ă la modeste uniformisation d’un Buds indomptable au son saturĂ© et Ă la guitare grĂ©sillant (ils jouent « Ponyboy » et « Freaks ») Ă un Heaven Surrounds You policĂ© et ambitieux (dont ils jouent, au final, 8 titres sur 12). Au bout de 35 minutes, ils annoncent que le prochain morceau sera leur dernier. Mon cĹ“ur ne fait qu’un seul bon entre ma dĂ©ception et mon euphorie au retentissement des premières notes du monumental « Disco » (le clip a dĂ©passĂ© le million de vues sur Youtube, quand-mĂŞme) que Nick vient chanter dans la foule. Le moment est abrupt, mais ces quelques minutes passĂ©es Ă danser aux cĂ´tĂ©s de Rattigan parmi cette petite masse d’inconnus en chantant unanimement « I – can’t – wait – for – you » Ă©taient d’une infinie tendresse.
Le public ne se fait pas prier et hurle un « we want more » que Surf Curse ne peut pas ignorer. Ils reviennent donc quelques instants pour jouer un peu plus de old Surf Curse et combler ainsi mes attentes. C’est sur « Forever Dumb » que la bande nous quitte pour s’installer au stand de merch situé au fond de la salle. Tout le monde s’y précipite alors pour obtenir son moment privilégié.
Surf Curse illustre parfaitement ce que la dĂ©mocratisation de la musique par les internets a de mieux Ă offrir : une sincĂ©ritĂ© bouleversante. Nick et Jacob Ă©voluent loin de la folie des grandeurs ; ils composent avec ce qu’ils ont et jouent oĂą ils peuvent pour ne donner que cette seule chose qu’ils possèdent rĂ©ellement : eux-mĂŞmes. Ils ne connaissent pas la set-list, mais jouent les morceaux qu’ils ont l’habitude d’interprĂ©ter tout en leur confĂ©rant un nouveau souffle de vie, une nième première fois, ce qui fait de leur prestation une expĂ©rience Ă©motionnellement particulière. La preuve, certains sont venus de très loin et sont ravis d’avoir fait le dĂ©placement, mĂŞme pour 50 minutes de set ; autant te dire que la prochaine fois que cette occasion se prĂ©sentera, on la ressaisira.