Tel un tsunami, la propagation du CORONAVIRUS a tout emporté sur son passage et a obligé la quasi totalité de la planète à prendre des mesures souvent inédites pour tenter de réduire la force de frappe du virus. L’objectif de ces mesures aussi spectaculaires que contraignantes : limiter les échanges et contacts sociaux “non-essentiels” afin de renverser sa courbe de propagation qui devenait dangereusement exponentielle. Et c’est le secteur des “arts et spectacles”, au sens large, qui fut l’un des premiers à être impacté avec un arrêt pur et simple de son activité depuis la mi-mars. Et l’annulation de tous les festivals musicaux jusqu’au 31 août minimum a mis un terme aux derniers espoirs de relance rapide de l’activité pour les professionnels du secteur, et aussi pour le public.

C’est donc armé d’un smartphone et d’une sacrée bonne connexion internet que Scènes Belges est parti à la rencontre d’organisateurs de festivals : Charles Gardier, Co-Directeur des Francofolies de Spa, David Salomonowicz, Responsable presse et communication à Esperanzah!, Benoît Malevé qui dirige l’Inc’Rock Festival et Paul-Henri Wauters, Directeur Général du Botanique, ainsi que du festival Les Nuits Botanique. Les deux derniers festivals cités étaient prévus début mai et ont pu être reportés à la rentrée. Ce petit panel nous a permis de rencontrer des festivals aux caractéristiques bien différentes : en plein air, en salle, urbains ou plus ruraux, et aux couleurs musicales très diversifiées. De quoi se faire une petite idée de la situation. Dernière précision : toutes ces entrevues se sont déroulées dans le courant du mois de mai.

Notre première question était de savoir à quel moment les organisateurs ont pris conscience que maintenir leurs festivals ne serait pas réalisable, tant au niveau des dates que des aspects pratiques ?

La réponse est la même partout : très tôt et même avant l’arrivée officielle du COVID-19 en Belgique. C’est lorsque l’Italie s’est rapidement retrouvée dépassée par l’ampleur de la propagation du virus que les organisateurs des festivals ont commencé à réfléchir en termes de report ou d’annulation. L’Inc’Rock et Les Nuits Botanique arrivant début mai, les organisateurs se sont bien vite rendus compte qu’il faudrait envisager immédiatement un plan B sous forme de report à la rentrée et à l’automne. En effet, le début du confinement à la mi-mars avait enterré tout espoir de maintien aux dates initialement prévues. Pour Esperanzah! la prise de conscience s’est faite lorsque le légendaire festival anglais de Glastonbury a pris l’initiative d’annuler son édition prévue fin juin. Il s’en est suivi un inéluctable effet domino où l’annulation d’un événement puis d’un autre a engendré une situation logistique et financière difficilement gérable et tenable pour les artistes. Ces derniers ont vu apparaître de plus en plus de trous dans leurs plannings de concerts estivaux. Même constat du coté de Spa et des Francofolies où le constat de l’impossibilité d’organiser l’événement fut difficile à accepter. Comme nous le confie Charles Gardier, “c’est probablement plus tôt que ce qu’on veut bien s’avouer que la prise de conscience s’est faite”. Bref, il n’a pas fallu attendre la décision du Gouvernement pour que la messe soit dite chez tous les organisateurs.

S’en est ensuite suivi l’épineuse question des finances et de la billetterie : remboursement ? bons d’achats pour les années futures ? les deux ?

Sachant que la billetterie et la consommation des festivals sur site représentent en général à peu près 80% du financement des festivals, la gestion de cette question fut très délicate à gérer. Le Botanique s’appuie sur un financement public plus conséquent en tant que Centre Culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. De ce fait il peut s’autoriser un remboursement pur et simple des différents concerts annulés ou reportés, que ce soit dans le cadre des Nuits que de sa programmation habituelle. Par contre tous les acteurs et prestataires de l’ombre ne sont quant à eux pas rémunérés, puisque rien ne se passe.

Du coté de l’Inc’Rock, comme l’équipe organisatrice est entièrement bénévole, les charges fixes sont peu nombreuses et le report précoce du festivals a permis d’éviter le paiement de différents acomptes pour les sous-traitants et fournisseurs. Lorsque le Coronavirus est arrivé en Europe les incertitudes étaient trop nombreuses pour commencer à engager des fonds de manière conséquente. Une année blanche sans festival serait imaginable d’un point de vue financier pour l’Inc’Rock.

L’enjeu est bien plus important à Esperanzah! : plus autonome financièrement, mais plus dépendant des revenus de la billetterie. Avec une affiche 2021 déjà presque finalisée, l’organisateur a malgré tout proposé le remboursement ou le report des tickets déjà achetés pour l’année prochaine. Mais cela à un coût, qui consiste à mettre au chômage temporaire les 10 personnes travaillant toute l’année pour le festivals. Le but de le manœuvre étant de réduire les charges dites “incompressibles” en temps normal. Un sacrifice que toute l’équipe organisatrice fait pour assurer la survie du festival florefois.

Les Francofolies ont du adopter la même approche pour diminuer ces fameuses charges structurelles, en ayant recours à la mise au chômage temporaire d’une grande partie de son équipe, la mort dans l’âme. L’organisateur confie, sans détour, qu’un remboursement pur et simple de l’ensemble de la billetterie mettrait un terme à l’aventure des Francos qui dure depuis 27 ans maintenant. Le festival compte s’appuyer sur les mesures gouvernementales permettant le report des tickets pour les prochaines éditions, limitant ainsi les trous dans la trésorerie. Le festival n’a pas encore communiqué à ce sujet. Et pour cause, les organisateurs travaillent sur l’affiche de 2021 afin d’essayer de la faire ressembler autant que possible à celle de 2020, qui remportait déjà un franc succès au niveau de la billetterie pour cette année. L’objectif étant de générer le moins de frustration possible et de faire passer le message suivant aux spectateurs ayant déjà acheté leurs billets : “soyez patients et attendez 2021”. Encore un peu de patience du côté des Ardennes donc.

Et les artistes ils en pensent quoi de tout ça ?

Qu’ils soient belges ou internationaux, les groupes et artistes prévus ont, dans leurs grandes majorités, accepté les reports de dates en fonction des contraintes déjà en place dans leurs agendas. Comme on vient de l’expliquer ci-dessus, les Francofolies planchent sur une affiche 2021 qui serait autant que possible le reflet de celle qui était prévue cette année. Les artistes font preuve de beaucoup de souplesse et de compréhension nous dit-on. Esperanzah! est déjà en mesure de confirmer près de 80% de son affiche pour 2021, celle-ci se basant en majorité sur les noms qui étaient annoncés pour cet été. Même son de cloche à l’Inc’Rock où le report de mai à septembre a été accueilli favorablement par les artistes. Du coté du Botanique on nous confie avoir été confronté à quelques défections ou réticences. Il a donc fallu, et il faut encore, convaincre du sérieux de l’organisation au niveau de la sécurité sanitaire pour les groupes.

Dans l’ensemble, il y a une souplesse et une bonne collaboration entre organisateurs et artistes pour traverser cette crise. Et pour cause, si les organisateurs ne sont pas en mesure de proposer des dates aux artistes, ils ne pourront pas prétendre aux cachets qui représentent une part de plus en plus importante de leurs revenus. Là où avant les managers des artistes faisaient la pluie et le beau temps avec les programmateurs, le rapport de force s’est, semble t’il, légèrement rééquilibré. Et tout le monde a aussi compris qu’il en allait de son intérêt personnel. Le public sera probablement également à reconquérir pour le convaincre de revenir en se sentant en sécurité, à 20 ou 20 000. Tous les organisateurs ont spontanément insisté tout au long de nos entrevues sur le fait qu’il en allait de leur responsabilité de permettre au public de venir aux concerts dans des conditions sanitaires et de sécurités optimales.

Le futur ?

Lorsque l’on parle de l’avenir, le front est commun et va dans une même direction : l’adaptation. Personne n’a renoncé et ne semble prêt à jeter les armes. Mais les organisateurs de festivals ont l’habitude de s’adapter et de se montrer inventif, et même souvent précurseur. La tempête du Pukkelpop qui avait fait plusieurs morts en 2011 avait déjà été un challenge financier et logistique à relever, faisant maintenant partie intégrante des éléments à prendre en compte lorsque l’on organise un événement en plein air. Le secteur avait aussi du négocier le délicat virage sécuritaire qui avait suivi les attentats du Bataclan. Les enjeux sanitaires qu’il va falloir dorénavant intégrer, et pour une durée indéterminée, seront probablement au moins aussi important. Et les organisateurs se penchent déjà dessus très concrètement. La volonté commune est de continuer à proposer des prestations de qualité au public dans des conditions les plus “safes” et les moins anxiogènes possibles : nombre de spectateurs réduit, port de masques, distribution de gel désinfectant, prise de températures des spectateurs, adaptation des systèmes de ventilations des salles, scènes en plein air plutôt que des chapiteaux, spectacles itinérants allant à la rencontre des gens pour que ceux-ci n’aient pas à se déplacer. Les Francofolies vont déjà plus loin avec la mise en place, dans les prochaines semaines, d’un festival virtuel payant pour mettre en avant les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce festival sera solidaire, avec une redistribution équitable des cachets des artistes, que l’on soit considéré comme un “petit” ou une “tête d’affiche”. Les idées ne manquent pas, même si tout le monde se rend bien compte du caractère imprévisible et inédit de la situation. Il faudra cependant faire preuve de souplesse et d’adaptation à tout moment.

Un constat interpellant est apparu avec la crise du Coronavirus : le géant de l’industrie du spectacle Live Nation a vu son chiffre d’affaire et sa valeur boursière s’effondrer brusquement. De riches investisseurs Arabes (tout un symbole pour cette multinationale américaine) sont venus renflouer son capital pour un montant de 500 millions de dollars. Il semblerait qu’être un “petit” dans cet environnement pourtant hyper concurrentiel pourrait permettre de limiter la casse. Bien évidemment, le contexte, l’histoire et les modes de financements de chaque événement et de chaque organisateur leurs sont propres et leurs permettent, ou non, de pouvoir se retourner avec plus ou moins d’aisance. Comme nous le disait très justement David Salomonowicz d’Esperanzah! en citant lui-même Notorious Big : “More money, more problems”.

D’une manière plus large, la Flandre avait déjà attaqué brutalement le secteur culturel il y a quelques mois en annonçant des diminutions très importantes de ses subventions aux acteurs du secteur. Le COVID-19 n’a fait qu’aggraver une situation déjà devenue compliquée au Nord du pays. Dans la partie francophone du pays, en plus de l’absence de réelles mesures pour le secteur, c’est une maladroite petite phrase prononcée au Parlement par la Première Ministre Sophie Wilmès qui a mis le feu à la baraque Culture. Il en a découlé une multitude d’initiatives de défense et de promotion de la culture et de ses métiers au sens large. Mais surtout pour la première fois de son histoire, c’est l’ensemble des acteurs du secteur qui s’est regroupé pour défendre ses intérêts et sa survie… Tout un symbole.

Il en a notamment découlé le CCMA, pour “Comité de Concertation des Métiers des Musiques Actuelles”. Les organisateurs de festivals se sont également mis à se parler et à se concerter encore plus qu’avant. Ce qui a notamment permis la collaboration entre Les Nuits du Botanique et le Festival FrancoFaune pour plusieurs soirées début octobre. Idem avec la concertation qui a eu lieu avec le festival électro Nuits Sonores organisé à la même période au Bozar à Bruxelles : les programmateurs des Nuits du Botanique veillent à ne pas venir faire un doublon électronique dans leur programmation, risquant ainsi de torpiller le public cible de ces musiques. Personne n’en sortirait gagnant. Les termes de “gentillesse bienveillante” ont été prononcés à plusieurs reprises à ce sujet par Paul-Henri Wauters du Botanique. Et il en va de même de l’autre coté de la frontière linguistique.

Au regard des réactions constructives et fédératrices des uns et des autres, le COVID-19 a peut-être gagné une bataille mais surement pas la guerre !

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