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CARTE BLANCHE : un concert comme essentiel et fantastique catalyseur

La fin du mois de novembre a résonné comme un véritable coup de fusil pour tout le secteur de la musique live avec, dans un premier temps, le retour du masque et très rapidement ensuite l’obligation d’être assis dans les salles. De quoi crucifier une bonne partie des concerts organisés en cette fin d’année (et probablement pour les premiers mois de l’année 2022). Tout ça prend l’air d’un énième confinement pour le secteur culturel. Le Covid Safe Ticket avait été présenté comme une sorte de Saint-Graal mais le virus en a décidé autrement, semblant toujours avoir un coup d’avance. Cette carte blanche n’a pas pour objectif de tirer à boulets rouges sur qui que ce soit ou de critiquer les mesures qui sont décidées, bien que celles-ci semblent de plus en plus souvent incompréhensibles pour le citoyen lambda. Nous ne tomberont pas dans le piège de nous auto-proclamer experts en 24 heures, certains le faisant déjà suffisamment mal comme ça. Cette carte blanche a l’humble objectif de mettre en lumière tout ce qu’un concert peut créer et générer au delà d’un « simple » spectacle audio et visuel qui se déroule en direct.

Après une mauvaise synchronisation d’agendas respectifs, les membres de l’équipe de Scènes Belges ont du se réorganiser à la hâte  pour trouver, à la fois un rédacteur et un photographe, afin de couvrir la première soirée du festival Les Nuits Solidaires, organisé dans le Théâtre de Verdure de la Citadelle de Namur au mois d’août de cette année. C’est donc un peu par hasard et de manière improvisée que j’ai alors pris ma voiture pour rouler en direction de la Citadelle, armé de mon appareil photo quasi-neuf et sans aucune réelle expérience dans le domaine de la photographie en concert. Ma mission est (d’essayer) de couvrir au mieux cette soirée, aussi bien en retranscrivant en photos ce qu’il se passe sur scène mais aussi dans le public du Théâtre de Verdure.

Les deux premiers concerts de la soirée se déroulent dans une ambiance très bon enfant avec Doria D et Delta. L’atmosphère est joviale, presque euphorique, la soirée constituant un des premiers événements avec le fameux Covid Safe Ticket. Cette soirée à des airs de retour à la normalité des choses, à l’insouciance de vivre l’instant présent. Un public très hétéroclite chante, danse, trinque, se couvre à intervalle très régulier de son k-way ou poncho pour contrer les fréquentes averses automnales, bien que nous soyons au mois d’août. Bienvenue en Belgique ! De part le statut un peu privilégié de « photographe presse » que j’ai ce soir je peux me promener partout, sous l’œil bienveillant de la sécurité.

L’obscurité gagne du terrain au fur et à mesure que la soirée avance. Pomme, la tête d’affiche du jour, peut alors monter sur scène. Je ne le sais pas encore mais l’heure-et-demi qui va suivre va me retourner les tripes et le cœur comme peu de choses avaient pu le faire auparavant. Le concert en lui-même est très beau et très bien ficelé, la présence scénique de Pomme agissant comme un enchantement un peu magique, entre obscurité et lumière. Avec mon appareil photo je mitraille autant que je peux ce qui se passe sur scène. J’arrive à en tirer quelques clichés dont je suis assez fier et satisfait. Ceux-ci retranscrivant, selon moi, l’atmosphère qui se dégage de la scène.

Situé entre la scène et le public, je prends aussi le temps d’immortaliser et de capturer ce qui se passe dans le public, utilisant le zoom de mon appareil pour balayer le public et aller chercher individuellement des visages lorsque le lightshow le permet. C’est une expérience très particulière aux effets que je n’avais pas anticipés. En effet, à travers mon objectif, je prends en pleine face et de manière très dense, très rapprochée (presque intime) et sans filtre tout ce qui se passe et s’exprime dans le public : je vois des enfants accompagnés de leurs parents, mais aussi des parents accompagnés de leurs enfants, je vois des gens qui pourraient être mes parents, d’autres qui pourraient être mes enfants. Je vois des gens seuls. Je vois des ados hurler avec rage, d’autres chanter avec timidité. je vois des sourires, beaucoup de sourires, presque partout en fait. Beaucoup de photos sont malheureusement un peu floues mais l’essentiel est là : capturer la magie sincère de l’éphémère spontanéité. 

Et lorsque les visages ne sourient pas, je vois des yeux absorbés et attentifs, parfois perçants (et très joliment maquillés), souvent attendris. Je vois aussi des larmes couler mais sans aucune douleur ou tristesse. Je vois des regards qui se croisent avec amour et tendresse, Je croise aussi des regards intenses et passionnés qui me fixent, d’autres plus rêveurs qui sont rivés vers les étoiles d’un ciel qui a enfin refermé ses vannes. Je vois des têtes qui se posent sur des épaules, des visages toujours plus expressifs. Je vois des mains qui se glissent dans le dos, des corps qui dansent et s’enlacent. Je vois des émotions et des sentiments humains s’entrechoquer avec douceur. Et lorsque Pomme se met à jouer son titre « Lumière » dans une version vraiment très lumineuse, je me retrouve à mon tour submergé par l’intensité de l’instant. Submergé à un endroit et à un moment que je n’attendais pas, que je n’attendais peut-être plus, comme si je l’avais oublié. Mes yeux brillent et ce n’est pas uniquement à cause du lightshow qui s’y reflète.

L’histoire recommence le lendemain de cette fantastique et troublante soirée namuroise : direction Lessines cette fois, dans le Hainaut-Occidental, pour le retour sur scène de Girls In Hawaii. Là aussi je m’improvise photographe pour la soirée. J’ai encore une fois l’occasion d’aller me positionner dans le mince couloir situé entre la scène et le public. J’ai donc l’occasion de voir, presque les yeux posé sur le bord de la scène, le groupe interpréter le très émouvant « Misses ». Je saisis physiquement toute la profondeur de ce titre très symbolique pour eux.

La première partie du concert se déroule de manière assez sobre aussi bien sur scène que dans le public. Mais très rapidement je me retrouve dans l’œil d’un cyclone que rien n’avait annoncé. Je suis pris entre un public qui se fait de plus en plus enthousiaste, presque vociférant et la scène d’où se dégage une intensité et une tension électrique aussi intimidante que sidérante. Je me sens tout petit, comme un ado qui découvre l’excitation du rock, alors que sur scène le groupe balance les énormes riffs de « Rorschach » avec une aisance et une assurance qui à franchement de la gueule. Collé à la scène, je perçois la puissance de frappe sonore que délivre chaque doigt qui vient heurter une corde de guitare ou de basse, chaque doigt qui se pose sur la touche d’un synthé, chaque bout de baguettes qui vient percuter un fut de batterie. Les mecs savent ce qu’ils font, savent ce qu’ils envoient à la face d’un public en demande.

De part ma position, j’ai les oreilles collées aux enceintes qui crachent les décibels de manières irraisonnables. Mais il est urgent de vivre cet instant de folle tempête rock de la manière la plus fidèle et la plus brute qui soit, sans filtre pour atténuer ce qui est en train de se passer. Et je dois m’accrocher car c’est en train de partir dans tous les sens avec un public qui se balance en rythme, semblant bomber le torse pour partir en croisade et répandre l’énergie du rock aux quatre coins du globe. Je ne sais plus si je dois orienter l’objectif de mon appareil photo vers la scène ou le public, il se passe tellement de choses de chaque coté. Ce n’est pas à une lutte que j’assiste. C’est un virulent et généreux échange d’énergie entre le groupe et le public qui se joue, et je suis au milieu de tout ça. Je me fais tout petit car je ne veux pas le parasiter. Et je dois presque me coucher dans l’herbe lorsqu’Antoine s’avance sur une colonne d’enceintes, au plus près du public, s’y met à genoux pour finir d’y hurler les paroles de « Flavor », le titre le plus fébrile et fiévreux de la discographie du groupe. Je me retrouve comme pris au milieu d’un braveheart, pris dans un étau où je suis allé me jeter avec joie et conviction. Je pourrai m’en extirper mais il n’en est même pas question. Le concert s’achève et je reste quelques minutes sur place, un peu sonné, pour la deuxième soirée d’affilée.

En un peu plus de 24 heures et deux soirées de concerts, j’ai vu des gens vivre des moments intimes, touchants et vibrants à travers ce que peut offrir le panel des émotions humaines. J’ai aussi vu toute la folie et la conquérante rage de vivre que peut offrir le rock. J’ai également rencontré une saisissante élégance sonore et visuelle, au charme troublant. J’ai enfin été intimidé par l’assurance de la force de frappe atomique mais mesurée d’un groupe de musiciens. Aujourd’hui encore, tous ces souvenirs continuent à m’émouvoir et à me prendre par surprise avec la même force, malgré les mois qui passent depuis cet été.

Ce que je veux finalement écrire, c’est que tout ce qui constitue de l’art (dans toutes ses formes), constitue un fabuleux catalyseur pour donner du relief et de la couleur au temps qui s’égrène de manière inéluctable. Les concerts, et les arts vivants en général, constituent une des meilleures manières de vivre et ressentir pleinement ce relief et ces couleurs, de générer des émotions et de donner une intensité viscérale au temps qui passe. Un concert c’est une expérience immersive totale, qui n’a rien de virtuelle et qui peut se vivre de manière très personnelle et introvertie, ou alors dans un esprit plus communautaire aux airs de grande communion. Il n’est pas ici question de parler de bienfaits thérapeutiques. La musique et les concerts génèrent une intensité unique, instantanée et irremplaçable que seule la mémoire pourra garder en otage malgré le temps qui passe. 

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