Depuis leur premier EP en 2010, les Français de LA FEMME sont passés du statut de sensation aux airs de hype parisienne un peu branchouille à celui de valeur sûre et durable. Avec un style entre pop, rock psychédélique, électro et un coté rétro, ils ont réussi à susciter l’enthousiasme aussi bien dans des milieux dits “alternatifs” (et parfois un peu élitistes) qu’auprès d’un public plus large, plus pop. L’entêtant “Sur la planche” issu de leur premier album (le bien nommé “Pscyho Tropical Berlin”) avait eu pour effet de catapulter La Femme vers les cieux du succès. De reports en reports, ce n’est qu’en ce dimanche soir que le groupe a eu l’occasion de poser ses valoches à Bruxelles dans le cadre d’une tournée qui va les mener aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis ! Une fois n’est pas coutume, la langue française s’exporte bien. La Femme est donc venue présenter “Paradigmes”, dernier album en date, à l’occasion d’un concert bouillant qui a mis le bordel dans une Ancienne Belgique qui n’attendait que ça.

La première partie est assurée par le trio de MURMAN TSULADZE. Les mecs montent sur scène avec des dégaines et des looks de lascars des années nonante qui ont traînés jusqu’à l’aube dans les boîtes de nuit. Et ça va chauffer très rapidement dans une fosse venue avec la ferme intention d’hurler et danser. La présence des barrières de sécurité entre la scène et le public n’est pas un hasard. Le trio va envoyer un disco-rock aux influences orientales et à l’énergie débordante. Un truc à voir sur scène plus qu’a écouter chez soi, sauf si vous êtes deux cents dans un cinquante mètres carrés. Descente de la police assurée cependant. Le mélange de guitares électriques et traditionnelles turques, de basses, de synthés et de machines électroniques en tout genre rend l’ensemble carrément fiévreux.  Le guitariste-chanteur tombe d’ailleurs assez rapidement la chemise. Plus rock et moins électro qu’Acid Arab, les morceaux n’en possèdent pas moins un pouvoir dansant absolu, comme pouvait le faire Rachid Taha. Au bout d’une grosse demi-heure c’est avec un public qui sautille de tout part que le set du groupe s’achève. Une agréable et enthousiasmante découverte live !

On a beau être dimanche, le public présent ce soir confirme qu’il est venu avec comme objectif de retourner la salle car, lorsque les lumières s’éteignent pour accueillir LA FEMME, l’atmosphère sonore se retrouve immédiatement saturée de décibels hurlants. La scène est noyée de fumigènes alors que le six membres du groupe prennent place, vêtus de leurs smoking blancs et rétros. Une batterie sombre et lointaine résonne alors, rapidement rejointe par une basse frénétique. Le nom du groupe s’illumine au sommet de la scène alors que les premières notes de “Nouvelle-Orléans” donnent le départ du voyage temporel et psychédélique que le groupe propose à ses fans belges ce soir. Bien que relativement tranquille, ce titre fait déjà danser la fosse.

Les 6 membres du groupe sont rapidement rejoints sur scène par un danseur fou à la chorégraphie aussi fantastique qu’improbable. Le guitariste s’empare quant à lui du micro pour introduire la soirée et présenter le groupe (comme si cela était vraiment nécessaire ?) dans un anglais francisé volontairement un peu foireux et rétro. Il achève son speech avec un jubilatoire “fuck the world” qui fait exploser la salle. Le titre “Cool colorado”, dont le refrain est composé de pa pa pa pa chantés à l’infini, révèle une puissance de frappe démultipliée que nous n’avions pas soupçonnée avant ce soir. Il en sera de même tout au long du concert avec la quasi-totalité des titres interprétés. Pour donner de la voix il n’est pas tout seul : son compagnon chanteur-clavieriste occupe lui aussi l’espace sonore et scenique. Parfois ce sont les filles qui prennent le relais pour le chant, comme sur le titre “Le Jardin”, chanté en espagnol. Dépaysement paradisiaque assuré. Pour les chœurs, tout le monde est mis à contribution tout au long du concert, les filles ou les hommes uniquement, parfois tous ensemble.

Le spectacle se situe aussi bien sur scène que dans la fosse et aux balcons : les t-shirts tombent, les pas de danse se font frénétiques, une des claviériste retire sa veste pour dévoiler son soutien-gorge alors que le chanteur-claviériste aux airs de Sid Vicious (avec sa chevelure multicolore) s’en va chanter contre la barrière de sécurité avant de se jeter dans la foule. Régulièrement au cours du set, il saisit également son clavier pour l’utiliser comme une guitare, jouant à genoux au devant de la scène. D’ailleurs cet esprit et cette présence scénique un peu punk est peut-être ce qui fait la marque de fabrique scénique de La Femme : percutant et énergique. Après un premier quart-heure bouillant mais mené à un rythme raisonnable, la machine à brûlots punk-rock se met en marche pour une grosse volée de morceaux tous plus joyeusement nerveux et syncopés les uns que les autres. Le live permet aux titres de La Femme de prendre toute l’ampleur et l’efficacité tubesque qu’ils possèdent avec des refrains entêtants et des paroles qui peuvent être aisément chantées (hurlées en choeur). Le déjà légendaire “Foutre le bordel” en constitue l’apogée. D’autres titres comme “Antitaxi”, “Sur la planche” ou “Tatiana” viennent également renforcer cet aspect des choses.  Sur ce dernier titre qui vient clôturer le set, une jeune spectatrice réussit à échappé à la vigilance de la sécurité pour s’offrir un pas de danse sur la scène avant de se jeter à toute vitesse dans le public.

Mais La Femme sait aussi se montrer plus douce et presque sensuelle sur certains titres plus aériens, explorant les influences du rock psychédélique des années 60 et 70. Mais il n’est pas ici question de se perdre dans d’interminable solo où les notes de guitares s’enchaînent sans que plus personne n’y comprenne rien. Le titre “Vagues” avec ses 13 minutes ne nous a pas semblé long du tout, on avoue même avoir été frustré qu’il s’achève aussi vite. Pareil pour des titres comme “Tu t’en lasses” et “It’s time to wake up (2023)” avec leurs rythmiques qui s’étirent dans un longues balades hypnotiques et enfumées. Visuellement tout transpire les 60’s avec un light show qui inclut la boule à facette et les projections multicolores aux graphismes joyeusement psychédéliques une fois encore. On y revient toujours. La présence de 4 synthétiseurs sur scène permet en effet aux groupe d’aller explorer des sonorités multiples et riches qui donnent une véritable identité sonore à chaque titre, tout en conservant une cohérence d’ensemble et la nostalgie des décennies passées. Le titre “Va” et ses airs de ballade langoureuse nous évoque Dalida, mais en en ayant enlevé tout la substance kitsch et pailleté associée à l’univers de la chanteuse.

La Femme continue à brouiller les pistes avec des titres plus pop et carrément calibrés pour les radios, comme avec “Où va le monde” ou le rythmé mais désespéré “Elle ne t’aime pas”. Par moment, on pourrait comparer la musique de La Femme à certaines productions de Thérapie Taxi, dans un registre moins brut, tout en étant plus débridé et indomptable. Mais on retrouve toujours ces références multiolent qui nous expédient vers les années 60, 70 et 80. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir des ados pogotter et chanter les mêmes paroles que des trentenaires et quarantenaires. La Femme réussit à réunir dans un shacker, boosté avec on ne sait pas trop quelle substance fantastique, des sensibilités et des références musicales pop et alternatives de plusieurs décennies. La Femme explose les limites des genres musicaux et du voyage temporel linéaire. Sans demander pardon, les six membres du groupe mettent un point d’honneur à créer un monumental bordel qui remue avec une ferveur (encore) juvénile tout ceux qui se trouvent sur son passage. Et c’est tant mieux car la qualité du résultat final justifie amplement qu’ils y aillent sans se soucier de savoir si quelqu’un leur en a donné l’autorisation.

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