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Le grand millésime 2022 d’EIFFEL au Botanique

Plus de vingt ans maintenant que les Bordelais d’EIFFEL liment le bitume des routes de la francophonie européenne pour aller défendre une certaine idée du rock français qui trouve sa source aux confins des années nonante et du succès monumental de Noir Désir, autre groupe originaire de Bordeaux. Le toujours très prolifique leader du groupe, Romain Humeau, reprend ainsi la route en compagnie de ses acolytes avec pour objectif de continuer à défendre « Stupor Machine », le dernier album en date (printemps 2019) du groupe. Le groupe était de passage ce mercredi soir à l’Orangerie du BOTANIQUE. Et une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, c’était le Belge THOMAS FRANK HOPPER et son band qui assuraient la première partie. Raison de plus pour ne pas manquer la soirée faisant la part belle aux sonorités rock et électriques.

La salle est déjà bien garnie lorsque THOMAS FRANK HOPPER monte sur scène sur le coup de 20 heures. On retrouve un public qui va de 7 a 77 ans. Le bonhomme et ses quatre musiciens se lancent dans un premier titre porté par une grosse basse bien groovy. Lui est assis sur sa chaise avec sa steel guitar aux airs de planche à roulettes et balance toute la puissance de son organe vocal à la teinte pourtant très aiguë. Un gros solo de guitare plus tard, le public acclame déjà chaleureusement le groupe. On ne sait pas si c’est la musique ou la météo chaude et humide du jour, mais l’atmosphère dans l’Orangerie est moite comme dans un club rock du fin fond du désert américain. La sécurité prend déjà soin d’ouvrir les portes de secours de la salle pour essayer de créer un courant d’air. Et lorsque Thomas se lève de sa chaise, c’est pour donner un cadence plus soutenue à ses titres qui prennent alors des airs de country-rock ayant croisé une batterie punk au beau milieu de la Route 66. On note aussi la présence d’un discret mais essentiel orgue électronique pour greffer quelques bouillantes sonorités rappelant les moments les plus flamboyants des Doors et de Ben Harper. Cela faisait longtemps que l’on avait plus vu un public si motivé dès la première partie. On ne serait pas étonné qu’une partie du public se soit décidée à prendre sa place pour ce soir lorsque la première partie fut annoncée par le Botanique. On a même cru à un moment qu’on allait assister à un rappel dès la première partie.

Les membres d’EIFFEL prennent ensuite place sur scène avec sobriété et simplicité. Le set commence avec quelques notes d’une guitare acoustique. « Place de Mon Cœur » ouvre le set dans une version débranchée toute tranquille. Le titre est joué dans la pénombre. Mais rapidement les guitares se branchent pour « Sombre », le second titre. Le lightshow se fait blanc, presque blafard et orageux. Romain Humeau, et son impressionnante chevelure, chante comme depuis toujours avec les mêmes intonations si caractéristiques. Celles ci ne nous enlèverons pas de la tête et des oreilles qu’il est le plus digne héritier vocal de Bertrand Cantat. Mais le gaillard ne se contente pas seulement d’interpréter ses titres avec conviction vocale, il y a aussi une gestuelle presque théâtrale qui décrit le contenu des paroles.
A les voir sur scène on en oublie presque que cela fait autant de temps qu’ils sont là à occuper le terrain du rock français. A part quelques rides, ils n’ont pas bougé d’un trait. Et lorsqu’ils vont explorer leur discographie plus ancienne, c’est toujours avec la même fougue à base de guitare-basse-batterie qu’à leur début qu’ils le font. Le morceau « Inverse moi » qui arrive très tôt dans le set en est la preuve. Le groupe se lance aussi dans une intro-psychédélique pour le monumental « Il pleut des cordes » dont la rythmique est ensuite martelée fermement par la batterie. Le reste du morceau est une lente montée en pression sombre et électrisante au gimmick qui devient une ritournelle hypnotisante.

Après une grosse demi-heure bien fournie en décibels, Eiffel redébranche les instruments pour la très jolie ballade de « Milliardaire ». L’ambiance visuelle se fait plus sombre, majoritairement en contre-jour. Mais c’est à ce moment là qu’on vire dans une ambiance rouge-révolte pour « Oui » et ses coups de guitare assassins (on a donc rebranché les instruments), tout comme la salve de stroboscopes tournoyants qui achèvent le morceau. Et il n’est pas question de s’arrêter en route puisque certains titres sont joués a 3 guitares électriques en même temps. La seule incartade en dehors des sentiers malmenés du rock se fait sur le titre « Saoul » et sa rythmique faussement disco, car le final se fait dans une déflagration de guitares et batteries. Tout au long du set, Eiffel alterne les titres frontaux et les ballades rock avec toujours ce fond d’engagement et de contestation comme lorsque Romain Humeau achève le titre « Dispersés » avec ces paroles volontairement déclamée à cappella : peut on encore se rassemblés ? Tout un symbole post-covid !

La fin du set principal laisse la place à deux titres plus aériens mais toujours aussi rock avec « Sous ton aile » et l’imparable « A tout moment la rue ». Le jeu de lumières se fait alors lui aussi plus solaire, bien que le rouge soit à nouveau bien présent pour ce dernier titre qui commence dans un sifflotement innocent mais aux airs d’hymne de rassemblement et de mobilisation pour finir en brûlot bien nerveux.

En rappel, le groupe revient pour une version mid-tempo du titre « Le même train », une version très punk de « Big Data » mais surtout pour l’énormissime « Hype ». Ce titre incarne à lui seul toute la puissance électrique et dévastatrice que peut générer un titre rock quand on lâche les chevaux sonores et mélodiques sans aucune limite. « Hype » est sans aucun doute la pièce maîtresse de la discographie d’Eiffel : comment partir d’un murmure et de quelques notes de synthé syncopées pour finir en océan de décibels déchaînés. On regrette jusque que le groupe n’ait pas poussé ce titre jusque dans les derniers retranchements les plus grungys et post-rock comme on a déjà pu l’entendre en live dans le passé. Et pourtant l’interprétation du texte et du titre par Romain Humeau était juste parfaitement orchestrée et mise en scène. C’est au bout de deux heures qu’Eiffel achève son set avec un dernier titre aux airs de cabaret et aux paroles en forme de narration où il est question de goûter à la saveur de la mort. Un dernier salut et les lumières se rallument sur l’Orangerie du Botanique. Eiffel a plus de vingt ans au compteur mais n’a rien perdu en route, bien au contraire.
Setlist – EIFFEL – Botanique – 13 avril 2022
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