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INDOCHINE : un show aussi titanesque que la carrière du groupe

Pour fêter leurs 40 ans de carrière, les membres du groupe INDOCHINE avaient annoncé, en pleine crise du Covid, une tournée des stades pour le printemps 2021. L’ensemble des concerts prévus à Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon et Lille fût reporté à 2022 pour les raisons sanitaires que l’on connait. Pas de quoi refroidir les fans du groupe. En effet, les chiffres de cette tournée donnent le tournis : 5 jours (24H/24) de montage pour la scène, un écran vidéo de 2500 m² qui s’élève à 45 mètres de haut, un poids total de l’ensemble scène-écran de 258 tonnes, 1000 personnes mobilisés pour chaque date, 70 semi-remorques, près de 100 000 spectateurs au Stade de France, deux stades complets à Lille et plus de 400 000 spectateurs sur l’ensemble des 6 concerts ! Et pourtant tout avait commencé avec une polémique lorsque Nicola Sirkis avait déclaré que si Indochine ne passait pas par Bruxelles, c’était en raison du fait que le Stade Roi Baudouin était « indigne d’accueillir le public ». Piqué au vif, l’Echevin de la Culture de la Ville de Bruxelles avait ensuite eu, par voie de presse, quelques échanges musclés mais étrangement cordiaux avec Nicola Sirkis. Les nombreux fans belges du groupe ont donc logiquement tournés leurs regards vers Lille, la quasi-frontalière ville du Nord de la France, pour venir célébrer les (finalement) 41 ans du groupe. On vous raconte notre périple lillois !

C’est dans un stade archi-comble que nous prenons place ce samedi soir. Ce qui nous marque lorsque nous pénétrons dans l’arène, c’est l’impression de gigantisme de cette scène centrale et son immense tour qui s’élève vers le ciel. De cette base centrale s’étire quatre avancées qui s’en vont vers les différentes extrémités de la fosse. Un moyen de rendre cet ensemble plus accessible pour les spectateurs les plus éloignés, bien qu’avec une position centrale, on n’est jamais non plus trop éloigné du cœur du spectacle. La première partie de ce soir est assurée par Superbus. Si il y a bien un groupe à programmer en première partie pour faire monter l’ambiance, c’est effectivement la bande de Jennifer Ayache qui fête ses 20 ans d’existence en plus. Durant 45 minutes, le groupe déroule sa liste de tubes et s’offre le luxe d’interpréter un titre inédit aux sonorités bien rock.

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

Il est à peu près 20h45 quand la tour-écran s’active avec toute une série de projections d’images d’archives qui évoquent les 4 décennies traversées par Indochine : de l’élection présidentielle de François Mitterand à celle de Nicolas Sarkozy, en passant par la chute du mur de Berlin, les attentats du 11 septembre et ceux de Paris. De manière très brève, la mort du frère jumeau Stéphane Sirkis est aussi évoquée, suscitant les cris du public. Cette projection s’achève avec une évocation de la pandémie de Covid et des images des grandes capitales du monde désertées à l’heure du confinement. Émouvant et glaçant à la fois. L’écran circulaire s’éteint alors, avant qu’un grand drapeau aux couleurs de l’Ukraine ne vienne l’illuminer à nouveau. Le groupe apparaît alors à l’écran, surgissant au bas des gradins, et montant sur scène « en toute simplicité », prenant le temps de saluer les quatre coins du stade. Les premières notes du titre « Nos Célébrations » se font entendre avant que Nicola Sirkis ne se pose devant son micro avec sa guitare pour en chanter les paroles. Les gradins sont debout, les bras se lèvent dans la fosse, tout est bien réuni pour que la célébration puisse avoir lieu !

© Laura Gilli – Indochine Officiel

Ces concerts s’intégrants dans une tournée anniversaire, sans nouvel album à défendre, la setlist est calibrée pour toucher le plus grand nombre tout en traversant les décennies. Pas question de garder bien au chaud les tubes pour une fin de concert explosive. Après le très dansant et récent « Station 13 », le voyage dans le temps est lancé pied au plancher avec des titres très rock comme « Marilyn », « Les Tzars » et le très musclé « Paradize ». « Canary Bay » et « Miss Paramount » (avec canon à serpentins), classiques des années 80 transforment le stade en chaudron hurlant.

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

Avec une scène centrale, il faut pouvoir occuper l’espace de manière optimale, même avec un écran géant circulaire qui doit permettre que personne ne soit lésé. A l’exception du batteur, les autres membres du groupe multiplient les incursions sur les différentes avancées. On s’étonne quand même que Nicola Sirkis ne se déplace pas autour de la scène lorsqu’il est contraint de jouer de la guitare, passant donc une bonne partie du concert orienté vers la même zone du stade. Par contre dès qu’il lâche sa guitare, c’est la grande cavalcade vers les différentes avancées pour aller chercher le public là où il se trouve dans l’immensité d’un stade. On serait curieux de savoir combien de kilomètres aura galopé Nicola Sirkis tout au long de la soirée. L’écran géant vient également jouer un rôle très important dans ce cadre avec des projections et illustrations conçues spécifiquement pour ces concerts, en lien avec l’histoire et toute la symbolique visuelle que le groupe a construire au fil des années. Le reste du temps, on a droit à de nombreuses images captées en directes de la scène, offrant de jolis gros plans sur l’ensemble des membres du groupe. Même en étant loin et haut dans les gradins, on est immergé au cœur de la fête. En fosse et en se rapprochant un peu de la scène, cet écran demande une inclinaison de la nuque presque à angle droit et la perspective globale du show est moins aisée.

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

En effet, peu importe où notre regard se porte, il y a des jeux de lumières qui balaient les tribunes, la fosse, la scène et le ciel. On en prend plein la vue et les oreilles avec un système sonore intégré dans la tour centrale qui permet une diffusion uniforme (autant que possible dans un stade) du son. Techniquement, on assiste à quelque chose de massif et calibré à l’échelle du gigantisme des concerts en stade. Indochine frappe, et frappe même très fort en cherchant à innover, quitte à parfois un peu se perdre dans la folie des grandeurs et des records en tout genre, mais sans jamais se reposer sur ses acquis et sur sa notoriété. Cette démarche explique peut-être pourquoi le groupe continue à remplir les salles, et maintenant les stades, en un temps records.

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

Indochine n’oublie pas non plus de s’adresser à sa communauté de fans les plus hardcores avec quelques raretés moins connues du grand public et n’ayant plus été jouées sur scène depuis parfois plus de 20 ans. Des titres comme « 7000 Danses » ou le mélodieux « La Chevauchée Des Champs de Blé » en sont les plus beaux exemples. Ces titres sont aussi un moyen d’un peu faire baisser la cadence d’un concert qui n’a laissé que très peu de temps morts jusque là. Car même lorsque « Tes yeux Noirs » est joué, Nicola Sirkis descend de scène et s’en va checker des mains un peu partout dans les premiers rangs. Bousculades assurées dans la fosse.

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

Qui dit « anniversaire » dit « invités ». Christine And The Queens enflamme la scène et le stade pour la version revisitée de « 3ème Sexe », arpentant la scène de toute part et ne laissant aucun répit à Nicola Sirkis pour suivre la cadence, ce dernier semblant par moment dépassé par la pile électrique qui chante avec lui sur scène. Dimitri Bodiansky (saxophoniste et membre originel du groupe) vient lui aussi rejoindre les membres du groupe pour interpréter presqu’en famille « Dizzidence Politik », le tout premier titre d’Indochine sorti en 1981. Le titre prend des airs de grande farandole avec tous les musiciens qui se balladent joyeusement autour de la scène sur ce titre à la rythmique spontanée et dansante. Seul manque Dominique Nicolas, autre membre originel du groupe et compositeur des plus grands hits du groupe dans les années 80. Suite à son départ du groupe dans les années 90, sa relation avec Nicola Sirkis est malheureusement restée houleuse, se limitant à des questions juridiques concernant les droits d’auteurs du groupe. Dommage.

© Laura Gilli – Indochine Officiel

La décennie des années nonante, souvent qualifiée de creux de la vague pour le groupe, n’est pas oubliée non plus avec un des titres comme « Kissing My Song », « Steff II » et « Drugstar » rassemblés dans un medley dense. Indochine relance ensuite la machine à faire danser le stade avec « Alice & June » et sa rythmique effrénée et le toujours fédérateur « 3 Nuits Par Semaine ». Cela fait déjà presque deux heures que le groupe est sur scène sans que nous ayons vu l’horloge tourner. La grande montagne russe indochinoise s’étant chargée de nous emmener un peu partout dans son copieux répertoire. La nuit est tombée sans même que nous nous en soyons rendu compte, et c’est à ce moment que le stade est plongé dans l’obscurité totale. Débute alors une projection vidéo où se succèdent les pochettes de tous les albums du groupe. Les premières notes de « J’ai Demandé À La Lune » se font entendre. Les lampes des smartphones s’allument pour illuminer le stade tout au long de ce titre qui a recatapulté Indochine sur le devant de la scène au début des années 2000. Les musiciens sont positionnés sur les quatre avancées pour ce qui s’apparente à un mini-set acoustique où sont joués le très ancien « Kao Bang » et son histoire de guerrière asiatique ainsi que le plus récent et pragmatique « La Vie Est Belle ». Le titre « College Boy » et son clip qui avait fait polémique est précédé par la projection de toute une série de témoignages de personnes victimes ou ayant été victimes de harcèlement scolaire. Le titre s’achève avec la projection du clip en question en accéléré et en arrière. 

© Laura Gilli – Indochine Officiel

Une longue intro vidéo se met ensuite en place dans un décor de mégalopole où les images et autres symboles retraçant la carrière du groupe se succèdent et s’entremêlent. L’écran s’éteint, un bruit sourd résonne dans l’obscurité, toutes les lumières s’allument et un énorme lâché de confettis multicolores s’élève depuis la fosse. Boris Jardel (Guitariste principal du groupe) peut envoyer le riff légendaire de « L’Aventurier » alors que Nicola Sirkis repart à l’assaut des multiples avancées de la scène. Malgré le gigantisme de la soirée, Indochine a le souci du détails, puisque c’est le son original de la guitare que nous entendons, tel qu’enregistré il y a 40 ans maintenant. Nostalgie assurée pour les plus anciens. Nicola Sirkis s’offre même l’interprétation du refrain de « Love Wills Tear Us Apart » de Joy Division au milieu du morceau. Lorsque le public chante les paroles du titre le plus emblématique du groupe, la caisse de résonance du stade est juste monstrueuse et couvre à plusieurs moments le son des enceintes. 

© Laura Gilli – Indochine Officiel

Le cap des 23 heures est passé depuis longtemps lorsque Nicola Sirkis, qui aura finalement été peu bavard, annonce le dernier morceau. Il prend le temps de remercier toutes les personnes qui ont rendus possibles cette tournée des stades. Comme sur la tournée précédente, c’est le coloré « Karma Girls » qui vient clôturer la soirée. Ce titre, écrit par Jean-Louis Murat, n’est pas le plus connu de la discographie du groupe mais il possède une indéniable beauté mélodique doucement dramatique, bien servie par les guitares très électriques de Boris Jardel et d’Oli de Sat (autre guitariste et véritable bras droit de Nicolas Sirkis depuis Paradize en 2002). Des fusées s’élèvent alors depuis le sommet de la tour centrale pour venir illuminer le ciel lillois. Le feu d’artifice est dans le ciel et c’est une explosion de couleur qui s’affiche sur les écrans. Le titre s’achève en douceur avec ces dernières paroles prononcées par Nicola Sirkis : Mets ta main dans la mienne et mon corps disparaîtra. Aussi beau que brutal. Le public est debout, les membres du groupe saluent longuement celui-ci avant de quitter la scène. Une image bleutée et embuée apparaît sur l’écran géant. On y distingue la silhouette de Nicola Sirkis qui écrit avec son doigt la phrase suivante : RDV en 2033 ? La date 2033 étant une référence à un titre du groupe. Alors que les 65 000 spectateurs avaient commencé à quitter le stade, ceux-ci se retournent et se mettent à hurler une dernière fois à la vue de ce message. Il est 23h35, Indochine vient de jouer un set de 2h45 ! 

© Laura Gilli – Indochine Officiel

Avec cette tournée anniversaire, Indochine relève avec brio le défi de rendre hommage à l’ensemble de sa carrière, en permettant à ses fans inconditionnels et au grand public d’y trouver leurs comptes avec une setlist qui privilégie les hits incontournables et les titres qui ont construit la réputation live du groupe. Tout au long de la soirée, les clins d’oeils et les références imagées ou musicales se sont multipliées, aussi bien sur scène que sur les écrans. On pointera juste du doigt la présence de quatre titres pour le seul dernier album en date. L’un ou l’autre titre aurait pu, selon nous, laisser sa place. En tant que porte-voix, porte-parole et dernier membre originel du groupe, Nicola Sirkis centralise naturellement toute l’attention (et l’adoration des fans) autour de lui. Et pourtant, ce soir nous n’avons pas eu le sentiment d’assister à un concert de Nicolas Sirkis et ses musiciens. C’est un véritable groupe soudé qui est monté sur scène, où chaque membre est à sa place, sans être dans l’ombre d’un leader !

© Jean-Yves Damien – Scènes Belges

Indochine fête son 41ème anniversaire tout en continuant à regarder vers le futur ! La démonstration de force est impressionnante. Là où d’autres vieux groupes se contenteraient de s’appuyer sur leur notoriété, Indochine continue à partir à la conquête d’un public qui leur est pourtant déjà acquis. Indochine passionne. Indochine énerve. Mais Indochine ne laisse personne indifférent. La relation qu’entretient le groupe avec son public est quasi-fusionnelle, comme Un Flirt Sans Fin*.  Au bout de 41 ans, le phénomène n’a jamais été aussi fort et ne connait pas (plus) la moindre baisse de régime. Ce n’est pas pour tout de suite qu’Indochine débranchera les amplis et rangera définitivement au placard les flights cases !

© Cédric Siperius – Scènes Belges

INDOCHINE – Stade Pierre Mauroy de Lille – 2 juillet 2022

Intro
Nos Célébrations
Station 13
Marilyn
Miss Paramount
Canary Bay
Punishment Park
Les Tzars
Paradize
Le Baiser (Intro « Heroes » de David Bowie)
Tes Yeux Noirs
7000 Danses
La Chevauchée Des Champs De Blé
Popstitute
3sex (en duo avec Christine And The Queens)
Alice & June
Un Été Français
Trois Nuits Par Semaine
Medley (Des Fleurs Pour Salinger – Kissing My Song – Stef II – Drugstar)
Dizzidence Politik (avec Dimitri Bodianski)
Nos Célébrations (reprise)

J’Ai Demandé A La Lune
Kao Bang
La Vie Est Belle
College Boy

L’Aventurier (outro « Love Will Tear Us Apart » de Joy Division)
Karma Girls

 * Référence au titre d’un documentaire réalisé sur Indochine à l’occasion des 25 ans du groupe.

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