Vous le savez, on aime bien partir à l’aventure chez Scènes Belges, ou tout du moins faire preuve d’un esprit de curiosité vis-à-vis des artistes qui bousculent les frontières musicales sans rien casser en chemin. Il y a 3 ans le projet WORAKLS ORCHESTRA de Kevin Da Silva Rodrigues (qui sévit depuis longtemps dans la musique électronique sous le pseudo de Worakls) avait déjà ainsi éveillé bien des curiosités avec un ambitieux mélange de gros beats ronds et d’instruments le plus souvent cantonnés aux opéras et au Bozar. Après avoir joué aux auto-tamponneuses sur le ring de Bruxelles, nous voici donc arrivés au PALAIS 12 pour découvrir tout ça en live.

Pas de première partie ce soir dans un Palais 12 qui s’est mis en version club. Il est 20h30, les lumières s’éteignent et plongent la salle et la scène dans le noir. On entend le son d’instruments classiques qui sont en train d’être accordés. Un coup de batterie retentit ensuite à intervalle régulier avant qu’un énorme éclairage blanchâtre et tout en contre-jour ne vienne éblouir le public. Un violon sombre et inquiétant se fait entendre alors que nous voyons apparaitre sur la scène une grosse vingtaine de musiciens classiques. On y trouve une petite dizaine de violonistes et autant de musiciens s’afférant sur des cuivres divers. Il y a aussi, surélevée et au centre de la scène, une percussionniste. Enfin, en avant plan de la scène on retrouve une grande table derrière laquelle on devine les consoles de Worakls.

Tout est en place et il est temps de lancer une première volée rythmique et de comprendre que le concert qui va durer près de 2h30 sera millimétré, aussi bien au niveau sonore que visuel. Le lightshow est impressionnant, très chargé et tournoyant dans tous les sens, balayant également le public. Public qui est d’ailleurs dans un premier temps un peu statique mais rapidement les corps se mettent à onduler. Il faut dire que se lancer dans une prestation à forte connotation électronique et sans première partie impose un temps de chauffe pour le public. Une fois que l’ingénieur du son a également pris soin d’augmenter la puissance sonore des enceintes de quelques décibels plus rien ne peut venir entraver la chevauchée de Worakls et son orchestre. Comme tout bon producteur de musiques électroniques, Worakls s’active derrière ses consoles et ses synthés, même si on regrette un peu le fait qu’il ait un peu trop souvent les mains libres à notre goût. Mais Worakls se pose aussi dans le rôle d’un chef d’orchestre, dirigeant tout ce petit monde présent sur scène.

C’est donc un véritable concert et show auquel nous assistons ce soir, puisque de manière quasi-permanente on voit apparaitre sur scène des chanteuses à la puissance sonore héritée des chanteuses afro-américaines ou des grands noms de l’opéra. On voit aussi deux violonistes (une femme à la silhouette élancée ainsi qu’un homme à la barbe et chevelure blanches) et un violoncelliste avec une version électrique de son instrument qui s’activent au premier plan du centre de la scène. Worakls n’est pas venu avec l’idée d’être accompagné de ses musiciens, on pourrait même penser que c’est l’inverse. En vérité on assiste à une véritable fusion entre les sonorités classiques et électroniques, permettant aussi à chacun de ses univers d’être mis successivement en évidence par de brillants et intenses solos. 

On voit également apparaitre une musicienne au look très rock’n’roll qui, armée de sa guitare, se lance dans de bouillants riffs et solos avant d’être rejointe par le son des instruments des autres musiciens et les beats de Worakls. Cela nous offre des passages carrément rock et grandiloquents, voir surpuissants avec des sonorités métalliques bien acérées. Les duos et trios de musiciens s’enchainent. On se laisse embarquer et transporter avec vigueur dans ce concert qui prend les airs de la bande sonore conquérante d’un film épique et fantastique. Les envolées mélodiques des cordes et des cuivres s’enchainent, rappelant les bandes originales de films comme “Inception”, “Pirates des Caraibes”, “Batman” ou “Braveheart”. Le tout est gonflé par des lignes rythmiques et des sonorités électroniques revigorantes. Ci et là on entend quelques accords de grands classiques de la musique classique. Les esprits conservateurs hurleront au blasphème et à l’irrespect pour l’histoire de la musique. Nous préférons y voir une ambitieuse approche décomplexée du mariage d’univers musicaux que beaucoup aiment encore présenter comme incompatibles. Tant pis pour eux.

Dans la dernière partie du set, on assiste à une surprenante mais entêtante reprise elctro-classique de “Vois sur ton chemin” des Choristes. Worakls et son orchestre envoient les titres les plus emblématiques de leur répertoire, comme le classieux et puissant “Caprice” ou le plus éléctro et presque drum’n’bass “Crow”. C’est donc pied au plancher que l’on se dirige vers la fin de la soirée. “Adagio for square”, un titre plus électro, fait littéralement décoller le Palais 12, rappelant les moments les plus lumineux et joyeux de Paul Kalkbrenner ou NTO, tout ça dans un halo de lumières jaunes aux airs d’été et de fête. Woralks a aussi préparé une petite surprise pour le concert de ce jeudi soir : il invite sur scène Mosimann, celui qui est partout pour l’instant (Star Academy, Olympia en solo le week-end passé, en tournée avec Grand Corps Malade). Il vient sur scène pour poser sa voix sur un titre inédit aux accents électroniques très marqués et sauvages. L’heure tourne et il est temps de lancer le générique de fin du riche et rythmé film de la soirée : un violon et guitare électrique rappellent par certaines notes “With or without you” de U2 avant que Worakls ne posent les dernières notes du soir sur son piano. Il est 23h et le public du Palais 12 applaudit longuement l’ensembles des musiciens et chanteuses ayant contribué à la bande sonore de cette soirée.

Des producteurs comme Thylacine, Jon Hopkins, Nils Frahm ou Christian Loffler sont eux aussi devenus des experts matrimoniaux pour faire se rencontrer la musique classique et électronique dans des registres parfois très spécifiques, et donc forcément potentiellement moins orientés vers le grand public. Worakls et des musiciens réussissent le tour de force d’amener un public plutôt tourné vers les clubs et les dancefloor vers un univers classique et clairement cinématographique aussi puissant que moderne et élégant.

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