C’est au printemps 2019 qu’on avait fait connaissance de la jeune bruxelloise SÏAN ABLE à l’occasion de la sortie de son EP “Healing Waves” (notre compte-rendu est ICI). Trois ans et demi plus tard, la voici de retour avec un premier album répondant à l’élégant nom de “Veni Vidi Sensi”. Anaïs Elba, de son vrai prénom, est une artiste complète dont la fiche technique est impressionnante : pianiste, chanteuse et compositrice, elle est également diplômée du Conservatoire et enseigne la musique depuis une dizaine d’années. Pour fêter la sortie de ce premier disque, Sïan Able nous a donné rendez-vous au Studio 1 de FLAGEY en ce pluvieux dimanche soir de novembre. L’occasion pour nous d’effectuer une plongée dans les eaux troublées de l’âme humaine et dans la douceur de la soul, de la pop et du classique, avec quelques couches électroniques très soignées.

Sïan Able n’a pas fait les choses à moitié pour cette release party puisqu’elle a décidé de prendre soin de son public et de lui manifester sa reconnaissance : on retrouve une photo de la cover de l’album sur chaque siège du Studio 1. Au dos de chacune d’elles, elle y a noté quelques mots de remerciements. A l’entrée de la salle, on trouve également un tableau reprenant tous les contributeurs du crowdfunding qu’elle avait lancé. Dans la salle on repère quelques têtes connues avec les chanteuses Roza et Typh Barrow notamment.

La soirée commence avec un témoignage de la sœur de Sïan Able, très à fleur de peau, très sensible, et évoquant déjà le titre en français de ce premier album : Viens, Vois, Ressent. C’est en formule quatuor que Sïan Able prend vie sur scène, puisque ce sont d’abord ses deux musiciens qui montent sur scène, l’une assurant les synthés et les percus et l’autre (un homme celui-là) s’affairant sur sa basse et ses machines électroniques qui donnent à la scène un petit air de laboratoire sonore. Entre eux deux, on retrouve un élégant et interminable piano à queue qui sera l’allié privilégié de Sïan Able pour la soirée. On aperçoit aussi, un peu en retrait, une choriste. Après une intro très électro, c’est avec la démarche d’une guerrière que Sïan Able monte sur scène et fonce droit vers ce piano. Elle ne prend pas le temps de s’asseoir, et y pose directement les premières notes d’un titre instrumental et virevoltant. L’acoustique de Flagey favorisant les choses, le son est d’une clarté très agréable à l’oreille.

Sïan Able a des choses à dire, aussi bien dans ses chansons qu’entre celles-ci. Elle prend le temps de parler, d’expliquer les choses, et se rendant compte de la chose, elle tourne finalement tout ça sous le spectre de l’humour et de l’auto-dérision. Elle n’hésite dès lors pas à pointer les incohérences et contradictions de son esprit. Elle rassure notamment le public sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un spectacle de stand-up et que même si les titres parlent très majoritairement de traumas et de choses difficiles, tout n’est pas noir pour autant. C’est ainsi qu’elle nous parle du féminisme comme étant nécessaire mais comme devant être un féminisme “pour” et non pas “contre”. Elle confie aussi son espoir que les jeunes générations feront les choses mieux là où la sienne n’y est pas arrivée.

La première partie du set permet à Sïan Able de présenter une partie des titres de son album avec notamment “Northern Lights” et ses notes de piano douces et enjouées à la fois. En parlant de lumières, on doit également mentionner que le lights show de ce soir construit un espace intime et chaud à la fois, avec aussi quelques contre-jours où se dessinent la silhouette de Sïan Able et de son piano. Un régal pour les photographes. Elle enchaine ensuite sur le lancinant “Two years of silence” avant d’inviter sur scène Ismaël Métis. Ce dernier vient poser sa voix et son flow sur “Osmose” alors que les doigts de Sïan Able continuent à danser sur les touches du piano et que la section rythmique apporte un touche plus hip-hop à l’ensemble. Le mariage vocal et sonore qui en découle est plus que convaincant, incisif et doux à la fois. Les influences se mêlent avec maîtrise.

La plus-value des musiciens qui l’accompagnent sur scène est indéniable mais c’est quand on la retrouve seule avec son piano que Sïan Able nous fait décoller le plus intensément dans sa bulle intime. Comme avec son titre “ONU”, aux accents très classiques, qui n’a jamais été enregistré et qui constitue un véritable ovni musical pendant lequel l’émotion sur scène est palpable. La même énergie se dégage avec un titre issu de son EP “Healing waves” qui met en valeur ses talents de pianistes et sa voix chaude. On y retrouve les mêmes ingrédients qui font toute la pureté et délicatesse musicale et vocale d’une Hania Rani. Elle nous livre également un titre inédit nommé “It’s more than piano” que Muse n’aurait pas renié si il avait fallut recomposer l’intro rock et mystique de “New Born”, titre phare du groupe anglais. Sïan Able profite également de ce moment seule en scène pour interpréter un cours morceau instrumental qu’elle jouait à l’époque du projet “La Boîte à chanson”. Par la même occasion, elle prend soin d’élégamment tacler, sans le citer, Francis Lalanne avec qui elle partageait la scène à l’époque. Expérience artistique et humaine qui ne fut pas la plus heureuse à première vue.

Le quatuor se reforme ensuite sur scène pour la dernière partie de la soirée où Sïan Able nous replonge dans ce premier album : C’est d’abord le très apaisé “Back to the Sun” qui parle de l’accompagnement dans la mort qu’elle interprète. Sa sœur revient ensuite sur scène pour interpréter le titre “Amour Sec” en duo. Alors que les trois titres chantés en français sur l’album nous avait un peu moins convaincu que les autres, leur traitement live prend tout de suite une autre dimension qui les élèvent au même degré d’appréciation que les titres chantés en anglais. Place ensuite à une version assez dansante du très radiophonique “The Choice Is Yours” qui s’achève avec un public debout et des airs de chorales gospels.

C’est de manière somptueuse que s’achève le concert avec tout d’abord “It Wasn’t Your Fault” dont on vous partage le clip ci-dessus. Ce premier titre bénéficie d’arrangements électroniques qui nous offrent des notes et des vibrations sonores qui disparaissent dans la salle dans un écho qui s’évapore tout doucement jusqu’au silence. Le public retient littéralement son souffle pour ne pas ébranler cet instant précieux. Pour illustrer ce moment, nous pouvons citer les Bordelais d’Odezenne dans leur titre “Hardcore” où ils chantent Bon dieu ça fait du bruit l’silence. Un exquis plaisir éphémère. Après une salve de longs applaudissements, Sïan Able revient pour un tout dernier titre, et offre une reprise de “Say What You Will” de James Blake. Là aussi, le public fait preuve d’une attention absolue avant d’exulter et de se lever pour applaudir une fois encore la chanteuse et son équipe.

Il était, pour nous, difficile de ne pas comparer ce concert avec celui que nous avions vécu il y a 3 ans au même endroit. Une chose est certaine, c’est que Sïan Able a passé un cap dans la construction de son projet artistique et scénique : un peu moins touche-à-tout, celui-ci est aujourd’hui plus affirmé, quelque part entre soul, pop et néo-classique. Comme elle le décrit elle-même, elle ne rentre dans aucune case préétablie pour un plan marketing : ni artiste indé, ni mainstream. Sïan Able se nourrit de ses expériences de vies et de la multiculturalité qui l’entoure à Bruxelles pour en faire émerger des mélodies et des paroles tournées vers la lumière et la résilience. On vous invite donc à découvrir son univers singulier en cliquant ICI.

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