La déferlante ALGIERS embrase le Botanique

C’est avec l’esprit curieux que nous avons pris la direction du BOTANIQUE et de sa Rotonde ce mercredi 15 fĂ©vrier. Les AmĂ©ricains d’ALGIERS y ont posĂ© leurs instruments. Ce qui a Ă©veillĂ© notre curiositĂ© : le site internet du Botanique qui dĂ©crit le groupe comme jouant “un opĂ©ra rock, blues, gospel, punk, et new wave”, un peu Ă  la manière de l’hybridation musicale de Zeal & Ardor. Il ne nous en a pas fallu plus pour aller explorer tout ça sur les plates-formes de streaming et pour nous convaincre en quelques morceaux de la nĂ©cessitĂ© de bloquer notre soirĂ©e de mercredi. Après un premier album sorti en 2015, ALGIERS s’est notamment offert un invitĂ© lĂ©gendaire en la personne de Zack de la Rocha (Rage Against The Machine) sur son second opus. C’est avec un troisième album sorti en 2020, ainsi qu’un tout rĂ©cent EP intitulĂ© “73%” qu’ils ont dĂ©barquĂ© Ă  Bruxelles.

C’est en formule duo guitare et contrebasse que les Flamands de The Christian Club ouvrent la soirĂ©e. Les mecs sont du genre hyper tranquilles en prenant le temps de s’installer et d’accorder leurs instruments. On se demande mĂŞme si nous ne sommes pas en train d’assister aux balances. Ils finissent tout de mĂŞme par lancer leur set dans un registre planant et dĂ©sabusĂ©. Si vous n’aviez pas le moral, mieux valait quitter rapidement la salle. Les notes de guitares Ă©lectriques sont douces et claires, la contrebasse offre un son lĂ©gèrement passĂ© Ă  la moulinette de pĂ©dales d’effets pour y donner un peu plus de reverb ou d’agressivitĂ© selon les titres. Mais c est surtout le chant qui retient notre attention : sombre, lĂ©gèrement rauque mais aussi sensible que puissant. Quelques passages gĂ©nèrent ainsi une tension sonore rock malgrĂ© tout emplie de dĂ©licatesse. The Christian Club est un groupe Ă  revoir en formule complète pour en apprĂ©cier toutes les nuances.

C’est ensuite dans une Rotonde gĂ©nĂ©reusement garnie qu’Algiers prend le relais pour la suite de la soirĂ©e. Sur scène, on retrouve pas moins de deux batteries et une multitudes de synthĂ©s et autres machines sonores. Et ce sont donc bien deux batteurs qui prennent places sur scène. Il y a aussi un guitariste, un bassiste/machiniste/choriste/danseur fou (on y reviendra) et Frankin James Fischer le chanteur/claviĂ©riste/guitariste qui occupe le centre de la scène.
Et ça commence dans un son noisy qui rĂ©sonne comme le signal de dĂ©part de la dĂ©ferlante qui va suivre durant la prochaine heure. Tous les musiciens se mettent alors en branle en mĂŞme temps : ça hurle dans les micros, la guitare envoie un nombre impressionnant d’accords dans un son mĂ©tallique et rouillĂ©, les batteries sont puissantes et sèches, les deux batteurs jouant parfois les mĂŞme sĂ©quences, parfois des sĂ©quences diffĂ©renciĂ©es. Il y aussi ce bassiste/machiniste qui danse comme un fou-furieux. La scène de la Rotonde semble bien trop Ă©troite pour lui permettre de dĂ©ployer ses pas de danses et ses chorĂ©graphies que personne n’oserait tenter Ă  4h du matin Ă  un mariage. Enfin, il y a ce chant qui est habitĂ©, Ă©ffrĂ©nĂ©, urgent, vindicatif. Certains titres sont jouĂ©s Ă  deux guitares et, par moment, cet ensemble, ces rythmes et ces sonoritĂ©s nous renvoient vers le premier album de Bloc Party ou vers certains titres des inclassables TV On The Radio, en version plus musclĂ©e et avec un son un peu sale.
En effet, tout au long du concert, nous nous faisons bousculer dans nos certitudes musicales qui consistent Ă  essayer de tout bien ranger dans des cases clairement dĂ©finies. Algiers vient y donner un fameux coup de pied, mais cela n’est Ă  aucun moment dĂ©sagrĂ©able ou douloureux. C’est au contraire Ă  chaque fois une nouvelle surprise qui tombe dans nos oreilles. On passe ainsi du punk-rock Ă  quelque chose de très urbain, sonnant comme un hip-hop new-yorkais oldschool bien dark et rempli de samples. Algiers continue Ă  brouiller les pistes avec un titre qui commence a cappella et dans un esprit très gospel, tel un chant de travailleurs. Le titre prend ensuite un caractère rĂ©solument dĂ©nonciateur avec une interprĂ©tation vocale qui monte en puissance, tout comme la musique presque oppressante qui l’accompagne. Un spoken word bien sombre et avec l’Ă©nergie de ceux qui sont occupĂ©s Ă  en dĂ©coudre. Un moment fort du concert, mais chaque titre prend la forme d’un nouveau pic musical, vocal et sonore.
On repart ensuite dans un registre punk bien nerveux qui bascule ensuite vers de la soul  puissante et chaude aux reliefs ascensionnels. On retrouve donc aussi bien des machines, des beats assassins et des sonoritĂ©s de pianos classiques, quoique bien sombres et torturĂ©s. Et toujours ce bassiste fou qui se lance dans un jeu de main sur ses cordes Ă  s’en dĂ©boĂ®ter les phalanges. Algiers fait partie de ces inclassables groupes qui vont donner du fil Ă  retordre Ă  tous les mĂ©lomanes qui cherchent Ă  classer chaque groupe ou artiste dans une case. Les rĂ©fĂ©rences se bousculent, elles nous sont familières, elles se mĂŞlent et se dĂ©mĂŞlent et pourtant la musique d’Algiers ne ressemble Ă  rien qui existe ou que nous ayons dĂ©jĂ  entendu. On pourra comparer Algiers Ă  un chaudron sonore en Ă©bullition dans lequel on a balancĂ© plein de trucs sans trop y rĂ©flĂ©chir. Et pourtant le plat final servi dans l’assiette est tout aussi dĂ©licieux qu’inĂ©dit. Mais surtout il offre, Ă  chaque nouvelle bouchĂ©e, son lot de surprises, d’explosions et d’explorations musicales.

Écrit par Jean-Yves Damien