Cela fait maintenant déjà quelques soirées que le quartier du Botanique est animé par le festival des Nuits. Les concerts s’enchainent sur l’ensemble des scènes du centre culturel dans un joyeux melting-pop de styles musicaux et de publics qui se rencontrent jusque tard dans la nuit, une bière à la main, sur les marches qui surplombent le parc extérieur. C’est aussi cet ensemble entre diversité, éclectisme, découverte et convivialité au cœur de la ville qui fait tout le charme et l’identité du festival. La soirée de mardi n’a pas dérogé à la règle. On vous raconte tout ça.

Premièrement nous allons assister au concert de Hyppotraktor, groupe qui nous vient de la région de Malines et qui est composé de Stefan de Graef au chant, Jakob Fiszer à la basse, Chiaran Verheyden à la guitare, Lander De Nyn à la batterie et enfin Sander Rom à la guitare et au chant. Dès les premiers morceaux du groupe, le show light nous en met plein la gueule ! La musique fait évidemment de même mais ça nous nous y attendions donc moins de surprise. Alors que, “WOW”, la claque visuelle on ne s’y attendait pas forcément. Après quelques morceaux, on se fait la même remarque, diantre que la maîtrise n’est pas que dans la lumière : le chant, la musique et l’attitude nous plongent complètement dedans. Le chanteur principal est assez charismatique et vient haranguer la foule quand il n’est pas occupé à headbanger ou sauter de son côté de la scène. Avant de jouer le dernier morceau, Beacons, ils invitent les fans à les retrouver après le concert au stand merchandising parce qu’ils veulent boire des coups avec eux.

La création de Predatory Void démarre avec le hiatus de Oathbreaker il y a quelques années, le guitariste Lennart Boussu ne voulant pas rester sans rien faire, il décide de créer un groupe avec des ami(e)s à lui venant des différents projets qu’il a cotoyé (Amenra, Aborted, Cross Bringer, etc…). Entrée sur scène de Predatory Void un chouilla en avance sur le programme ce qui aura surpris quelques spectateurs se précipitant dans la salle aux premières notes. Heureusement nous étions déjà bien sagement placé dans la salle pour ne rien rater. Les riffs se font plus lourds, et ici ce n’est pas le show light qui nous saute aux yeux en premier car c’est assez classique et stroboscopique, mais plutôt les projections abstraites sur l’écran derrière le groupe qui nous captive dans un premier temps. Après il faut bien l’avouer, la musique et la prestation scénique prennent le dessus ! On est soufflé par la puissance des passages plus violents alors que la douceur des passages clairs nous apparaît comme un baume rafraîchissant. Une petite heure de show plus tard, le groupe disparait furtivement de la scène en saluant le public de manière assez timide, à l’opposé de ce qu’il vienne de proposer.

C’est ensuite un grand écart de haute voltige que nous faisons ce soir en prenant la direction de la splendide salle du Grand Salon pour une programmation neo-classique et minimaliste. Et de fait, des coussins sont disposés au sol un peu partout dans la salle, invitant les spectateurs à s’y installer confortablement. L’ambiance est feutrée et cosy, à des années lumières de la robuste ambiance de l’Orangerie.

Grégoire Gerstmans, qui ouvre la soirée du Grand Salon, donne ce soir son tout premier concert après trois ans de travail sur son projet. Ses morceaux allient douceur extrême et mélodies à la fois sombres et sensibles. C’est aussi un personnage atypique et attachant avec son gabarit de bûcheron aux bras couverts de tatouages. Chaque note est égrenée avec maîtrise et finesse, laissant le temps à l’auditeur de pouvoir l’intégrer, la digérer et la marier aussi bien à la précédente qu’à la suivante. Il explique d’ailleurs que son travail créatif cherche à laisser du temps dans la musique pour freiner la fuite en avant du quotidien. On voit d’ailleurs plusieurs personnes s’allonger par terre dans la salle et fermer les yeux durant son set. Cette atmosphère est renforcée par un habile jeu de lumières et de projections qui se réfléchissent dans un mur de miroirs suspendus au dessus de la scène. En fin de set, il offre un dernier titre en forme de douce virée aérienne aussi synthétique qu’électronique bercé par des faisceaux lumineux tournoyant. Nous ne pouvons que vous encourager à aller découvrir son travail.

Place ensuite à Carlos Cipa pour qui un seul et sobre piano à queue est présent sur scène. Il prend la parole pour inviter les spectateurs à profiter pleinement du concert, le plus tranquillement possible. Là aussi les silences et l’espace temporel qu’intègre généreusement Carlos Cipa entre chaque note sont les clés de sa musique que l’on pourrait résumer de la manière suivante : enjoy the silence.

Mais Carlos Cipa ne se contente pas seulement de jouer avec les touches du piano, il va également triturer avec délicatesse la structure interne de son  instrument, tel un chirurgien en pleine opération. Il en émerge des sonorités peu courantes de cet instrument, plus sèches. Sa musique est contemplative et apaisante mais elle peut aussi prendre un relief beaucoup plus sombre, rythmé et presque nerveux, tout en restant hypnotique. Il en résulte un impressionnant et méthodique jeux de mains et de doigts sur les touches du piano. On retrouve donc régulièrement cette alliance de douceur et de tension saupoudrée une par une par note sombre ou incisive, dans un équilibre qui ne bascule jamais dans la monotonie ou l’agressivité des mélodies. Les passages plus sombres sont quant à eux tout simplement digne d’une BO d’un film crépusculaire. Les passages plus tournés vers la lumière sont tout simplement beaux, sans autre adjectif ou superlatif nécessaire car superflu.

La musique de Carlos Cipa fait voyager notre esprit dans les méandres de notre imaginaire, autant vers la lueur que dans ce qu’il peut contenir de tourmenté, sans jamais pour autant brutaliser quoi que ce soit. Ce voyage multiple se fait sans que nous en ayons conscience, partant de quelques notes délicates et claires pour prendre ensuite une tournure ténébreuse et sous haute tension, voir carrément lugubre. Carlos Cipa nous emmène dans la beauté du bien et du mal cohabitant et semblant danser une étrange mais féerique valse entre amour et tristesse.

Le public semble ne pas vouloir briser ce voyage et cet équilibre puisque c’est dans un absolu silence qu’il écoute la musique, n’applaudissant pas entre les morceaux. Mais ce silence est la marque d’un respect peut-être encore plus grand que le son d’applaudissements. Carlos Cipa prend d’ailleurs le temps en fin de concert de remercier le public pour son écoute très attentive et confie avoir pris beaucoup de plaisir à jouer dans ses conditions. C’est donc en douceur que s’achève cette soirée alors que Bruxelles a revêtu son manteau de nuit.

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