Ce mardi soir, c’est à Forest National que la chanteuse française POMME et son univers aussi enchanté que sombre et féérique sont venus charmer un public de toute façon déjà conquis depuis longtemps. En tournée pour présenter « Consolation », son troisième album, et après un passage au Cirque Royal au printemps, Pomme relève maintenant le défi des grandes salles. La date bruxelloise arrive en effet juste avant une double soirée au Zénith de Paris. Cerise sur le gâteau : pour l’occasion, Pomme est accompagnée d’un orchestre classique, de quoi nous garantir quelques surprises et renforcer notre intérêt pour ce concert. Enfin, nous sommes curieux de savoir comment sa musique caractérisée par l’intimité et le minimalisme peut trouver sa place dans des enceintes de cette taille.
C’est finalement un petit peu moins de 6000 personnes qui se pressent ce soir à Forest National, le concert n’est donc pas tout à fait complet. Nous ne serions pas étonnés qu’une partie du public ait été rebutée par la grandeur et l’impersonnalité du lieu. La musique de Pomme se rapproche en effet plus du joyau fragile et éphémère qu’autre chose.
Il est donc 21 heures lorsque les lumières s’éteignent sur Forest. C’est dans le même décor scénique qu’au printemps que la chanteuse et ses musiciens et musiciennes montent sur la partie gauche de la scène. Sur la gauche, c’est donc la forêt enchantée où s’illuminent de petits champignons sous le regard protecteur d’un de leurs collègues de taille humaine celui-là. Dans cette pénombre féerique, l’orchestre, composé de violons et de flûtes notamment, se met à jouer quant à lui sur la droite de la scène sous une lumière aux airs de lueurs de bougies. La dizaine de musiciens et musiciennes classiques présents n’est pas là pour faire de la figuration. Les arrangements et le mariage opérer avec le staff musical habituel de Pomme donnent une dimension nouvelle aux titres interprétés. C’est puissant et délicat à la fois, comme des étincelles qui flirtent et valsent dans la nuit noire.
Visuellement, le rendu est également très esthétique, comme par exemple lorsque les musiciens se mettent à tanguer de gauche à droite, en fonction des notes qu’ils font naître au creux de leurs instruments, décrivant de lents et synchronisés mouvements de bras, tel un élégant ballet. Pomme agrémente l’interprétation de ses titres avec une gestuelle douce et elle aussi très élégante comme sur “Jardin” où elle revêt un gigantesque chapeau en forme de champignon tout en tournoyant sur elle-même au rythme de la mélodie. Nos inquiétudes concernant la manière dont Pomme allait pouvoir occuper l’arène bruxelloise se sont donc évaporées dès “Nelly », premier morceau du set, aussi bien pour l’aspect visuel que sonore. La chanteuse réussit à créer de l’intimité et du lien dans cette salle qui est la plus grande où elle se soit produite jusqu’à ce soir dans sa carrière. Un titre aussi tendre que “La rivière” y trouve finalement très bien sa place. Par contre, et ça sera le seul tout petit point négatif de la soirée, Pomme a perdu un peu de sa spontanéité et de son autodérision sarcastique qui donnaient parfois au concert des airs de stand-up lors ses interventions entre les titres. Elle n’en demeure pas moins hautement sympathique et attachante pour autant.
Au niveau de la setlist, Pomme met clairement le focus sur son dernier album dont une très grande partie est jouée. “Les failles” n’est cependant pas en reste avec quelques très jolis extraits dont “Soleil soleil” et son refrain étincelant et magnifié par l’orchestre, tout comme l’intro de “Grandiose. “Anxiété”, d’abord très sombrement vocale et électronisée, prend ensuite un virage carrément rock, Pomme s’emparant pour l’occasion d’une guitare électrique. Le bouleversant “La lumière” dont le texte traite de la maladie d’Alzeihmer et de l’oubli a également retenu notre attention. Son premier album, “A peu près”, passe comme toujours relativement à la trappe. La chanteuse assume ouvertement sa difficulté à s’ identifier à cet album qui avait été produit par son label de l’époque, sous une direction artistique peu en accord avec ce qu’elle voulait réellement faire. “Ceux qui rêvent” transforme malgré tout Forest National en gigantesque chorale alors que le titre “On brûlera” est interprété en duo avec Safia Nolin qui a assuré la première partie. Un nuage de lucioles de smartphone apparaît alors spontanément dans la fosse et les gradins.
A plusieurs reprises, tout au long de la soirée, on se surprend à sentir nos poils se hérisser en fonction des mélodies classiques ou du timbre de voix de Pomme. Et c’est finalement lorsqu’on la retrouve en solo sur scène avec sa guitare ou sa fétiche petite harpe qu’elle s’en va toucher à quelque chose d’à part entière et de perçant, malgré la grandeur de la salle. Seule sur scène, avec un éclairage minimale, Pomme nous évoque l’image d’une PJ Harvey qui, au seul son de sa voix et de quelques notes de guitares, captive une foule plongée dans le noir de salles immenses ou de nuits de festivals. Sa reprise, en Japonais, du générique du film “Le voyage de Chihiro” de Myazaki a parfaitement illustré cette magie scénique solitaire.
L’époque où Pomme annonçait le rappel en demandant au public de la rappeler pour éviter que la fin de concert ne prenne une allure gênante est désormais bien loin. “Bleu” et son final joyeusement électronisé voit Forest National reprendre de manière synchronisée la chorégraphie exécutée sur scène par Pomme alors que des canons à bulles de savon se mettent en action. La fin du concert arrive donc, mais Pomme a réservé une dernière surprise au public belge avec un titre inédit, “Magie Mauve”, interprété en duo avec Flavien Berger qui avait déjà énormément travaillé sur son dernier album. Le plus tranquille et posé des producteurs français de musique électronique rejoint donc la chanteuse sur scène pour un titre une fois encore carrément féérique. Pour clore en beauté la soirée, Pomme interprète “Very Bad” avec un final à cinq voix pendant que le public adresse de gros fuck à l’intention de toutes les personnalités toxiques qui pourrissent le quotidien. Il est 22H50, nous n’avons pas vu la soirée s’écouler, magnétisés par celle qui nous a entraînés dans ses sombres et mystérieux voyages intimes et oniriques, magnifiés par l’éphémère “Consolation Orchestra”.