« Jack, je vole ! » disait Rose à Jack, tandis qu’elle s’accrochait jusque-là à la rambarde du Titanic… En lecteur avisé que tu es, tu te demanderas sans doute quel est le rapport. Figure-toi que je me sens un peu comme elle en m’accrochant à la rambarde du Chapiteau ce jeudi 25 avril au Botanique. Le soleil brille sur les Jardins, mais pas autant que la programmation qui balance des boules d’énergie façon Kaméhaméha et une bonne dose d’amphétamine. On nous a promis LA soirée rock des Nuits à ne pas manquer… Était-elle si mémorable ?

C’est aux Belges d’Endless Dive qu’il revient d’ouvrir la soirée, pour un doux moment de pur post-rock instrumental que j’attendais avec (ô quelle immense) impatience. Avec un blase aussi stylé, on pourrait presque douter de la provenance pourtant on ne peut plus « locale » du groupe… Des bars au festival de Dour, les quatre Tournaisiens ont fait du chemin et continuent de porter fièrement les couleurs planantes du post-rock, chose qui n’est pas aisée dans un monde où la parole-juste fait davantage tourner les serviettes que la poésie instrumentale.
Les conditions ne sont pas optimales : la salle est peu remplie et il fait encore jour, or j’aime à croire que le post ne révèle toutes ses saveurs qu’une fois plongé dans l’obscurité, troublée uniquement par la danse des jeux de lumière. Le voyage, quoique s’annonçant (trop, trop, beaucoup trop) bref, est lancé. L’envolée sulfureuse des guitares de Pierre et Nathan me cloue sur place, et la batterie me fait l’effet d’un grand coup de gong suspendu dans l’au-delà. Depuis le premier rang, le monde se fait oublier.


Au terme d’un si beau voyage vers les insondables abîmes de je-ne-sais quel océan, je retiens un set intense, d’un équilibre instrumental parfait. Petit conseil de toi à moi : les avoir écoutés au préalable est indispensable. Ils ont à leur actif un EP éponyme et un album fraîchement sorti (Falltime, une dinguerie dont je vais t’épargner les louanges), soit, de quoi rendre justice à la justesse et à la densité de la performance live qui vaut clairement le déplacement.

C’est donc plus que convaincue par cette Nuit ensoleillée qui démarre sur les chapeaux de roue que je me dirige, le ventre plein, vers The Psychotic Monks. Les connaissant très peu, je suis presque surprise de voir à l’atmosphère de la salle que les quatre Parisiens sont très attendus. Et de fait… Pour l’avoir vécu, je peux te dire que ce n’est pas le genre de claque qui se prend le ventre plein.

Le nom du groupe annonce la couleur de la performance. Le quatuor n’hésite pas à remplir l’espace de sa présence et de sa musique par instants plus épileptique que psychédélique. Leur authenticité est bouleversante et contraste avec la quasi-théâtralité des personnages ; androgynes, fragiles et pourtant transperçants. Il y a une sorte de révolte qui émane d’eux alors même qu’ils n’ont encore prononcé aucun mot. La transe du claviériste s’allie à celle du batteur qui lui fait face dans une sorte de danse macabre, ce qui retient particulièrement mon attention ; je ne sais pas si je nage en plein bad-trip ou s’ils se débattent effectivement avec leurs instruments funèbres. Le set est tortueux, à l’image du chant (il tend parfois à la plainte) qui semble venir tout droit des tréfonds de l’âme damnée d’un Jack Torrance. Tu t’en doutes, j’ai commencé à flipper et j’ai décroché.
Avec le recul, je regrette de m’y être rendue en touriste et de ne pas avoir compris tout de suite l’élégance du propos, flippant certes mais novateur de par son éclectisme (c’est bien plus que du psyché, c’est une infinité de saveurs qui te happent si tu veux bien les accepter) et reposant sur des bases solides et majestueuses musicalement. Une orfèvrerie à la française comme il en manquait cruellement ces dernières années, et c’est avec grand plaisir que je refais le monde dans ma tête en écoutant (Epilogue) Every Sight (issu du dernier album Private Meaning First), perle que je te conseille vivement d’écouter.

21h30, un incendie déclaré par Lysistrata bouleverse la nuit qui s’empare désormais des Jardins. Décidément, les artistes de cette soirée ne sont pas venus nous conter fleurette.

Ben (à la batterie), Max (à la basse) et Théo (à la guitare) arrivent et se font face pour kiffer en toute intimité ; je ne parviens pas à décider si j’aime ou non cette configuration, à la fois discriminante et en même temps participant de la fougue et de l’harmonie du groupe. Pour autant, ça joue fort et vite, c’est tonitruant, je n’attends donc pas trois secondes avant de clamer haut et fort que c’est une grosse déglingue. En bon public que nous sommes, nous avons eu le droit aux exclus et aux classiques, le set atteignant l’apothéose avec Sugar & Anxiety qui j’en suis sûre a donné la trique aux plus exigeants de la salle (j’aime à penser que Bruxelles toute entière s’est retournée dans ce dernier larsen). Le trio a de l’énergie à revendre, c’est du rock noisy bien musclé où le texte sublime entre deux déconnades une instru on ne peut plus maîtrisée, prouvant bien par là qu’ils ne sont pas juste venus pour se fendre la poire, ni pour nous balancer des guitares à la tronche (véridique, comme quoi la douleur fait partie du plaisir).

C’est avec une bosse ou deux que nous nous rendons au nec plus ultra de la soirée pour les métalleux et pogoteurs qui n’ont pas encore eu leur compte : Zeal & Ardor.

La salle est plongée dans le noir mais d’un seul coup, les basses prennent d’assaut les planches du Chapiteau. Je crois que les plaques tectoniques ont bougé, mais j’ai à peine le temps de réaliser que de brefs éclats de lumière font apparaître le groupe dans toute sa superbe et sa « mystériosité », tous les cinq alignés droits comme des “i” face au public (on ne compte pas le sixième qui est à la batterie). Et c’est à ce moment que je découvre pour la première fois en live la voix schizophrénique de Manuel Gagneux qui me cueille comme une pêche en été. Alors qu’il s’agit d’un grand écart vocalement, il lui suffit d’un pas pour découvrir sa voix authentiquement blues (voire même pop ?!) et d’un autre pour laisser rugir le félin sous speed qui sommeille en lui. Tiziano Volante à la guitare est tout bonnement incroyable, d’une rapidité technique qui me donne le tournis, et d’une énergie plus abrasive que des barbelés de prison. Je regrette par contre toute cette mise en scène qui a été privilégiée au détriment d’un vrai contact avec le public, et ce côté too-much dans le dandinement des chœurs (Denis Wagner et Marc Obrist) qui m’est bien trop apparue comme une compensation gênante et bizarrement mise en place de leur piètre utilité scénique (et je souligne ici « scénique », leur utilité vocale étant évidente ; je les verrais simplement plus en retrait du lead pour des questions de cohérence visuelle et auditive).

Tu l’auras compris, c’est déjà nostalgique et avec un goût de trop peu que je quitte le Botanique ce soir. Cette Nuit était clairement placée sous le signe de l’œuvre d’art, donnant à entendre une sorte de polyptyque sacré dont les différentes facettes, à la fois angéliques et diaboliques, se rencontrent dans une harmonie parfaite et la création d’un monde nouveau, presque utopique, où se déploie le meilleur de la musique.

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