Lieu généralement réservé aux musiques classiques, le paquebot de Flagey accueille ce mercredi soir la jeune bruxelloise Sïan Able pour la « release » de son second EP “Healing Waves” qui sort au même moment. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle et son équipe n’ont pas fait les choses à moitié. Déjà le lieu en lui même en impose, autant par sa beauté épurée que par l’acoustique sans faille, et qui ne pardonne donc pas les approximations sonores et mélodiques. Autant tout de suite briser le suspens à ce sujet : rien à signaler à ce niveau sur toute la soirée.

Sïan Able, prof de musique à la vie, n’a donc pas fait les choses à moitié puisqu’en plus de nous offrir un cadre magnifique elle nous offre une première partie. C’est le jeune pianiste Lo. qui va nous déverser avec fougue quelques unes de ses compositions, seul sur scène, assis devant un splendide et interminable piano à queue. Jeu au piano qui oscille entre le jazz et le classique avec de bien belles envolées mélodiques qui tournoient vers les cieux. Le chant quant à lui vient se percuter et se répercuter quelque part entre une complainte doucement “saezienne” et une rage  furieusement “fauvienne”, en forme de thérapie et d’exutoire fragile, intime et juvénile. Le tout sur des thèmes empreints de mélancolies et d’un quotidien désabusé. Sa prestation aura été suivie avec attention et se clôturera par de longs applaudissements.

 

Juste le temps de bien s’installer dans son fauteuil et les lumières s’éteignent à nouveau pour laisser place à Sïan Able. Sur scène toujours ce grand piano mais aussi un synthétiseur plus “moderne” aux décos qui rappellent la pochette de ce deuxième EP. C’est en toute sobriété et toute de noir vêtue qu’elle arrive sur scène, posant délicatement ses mains sur le synthé ainsi que le pc qui lui sert à envoyer différentes boucles. C’est avec le titre éponyme de son EP qu’elle démarre son voyage intérieur auquel elle nous invite, sans pudeur, ni excès, dans un registre électro-soul, mais pas que. Et là on comprend que ce n’est pas juste une redite live du CD qu’on va vivre ce soir mais bien la prestation d’une artiste complète qui allie habilement les styles musicaux et qui vient aussi greffer l’art de la danse sur sa musique.

 

En effet, sur plusieurs morceaux 4 danseuses et danseurs viennent apporter un habillage visuel par un jeu des corps et des ombres où se mêlent la rencontre, l’éloignement, la souffrance, la grâce et la volupté. Et ces chorégraphies deviennent tout simplement magique lorsque Sïan Able s’assied près du piano à queue. Une fragilité poétique intense se dégage de cet ensemble sobrement mis en lumière avec l’architecture de la salle. C’est dans ce décor dénué de tout artifice électrique ou électronique que la profondeur de ses chansons surgit et nous attrape au fond de notre âme sans qu’on l’ai vu venir. Et lorsque son chant est accompagné de ses mains qui se mettent aux contacts du piano cela se fait dans une sobre sensualité. Tout comme lorsqu’elle repasse sur son synthé et son vocodeur, où c’est tout son corps qui accompagne la profondeur des nappes sonores qu’elle envoie.

Plus tard dans le set, elle interprète un titre inédit en français répondant au nom d’ “Osmose” où une fois encore elle brouille les cartes des genres dans un style rappé/slammé, accompagnée d’un MC et d’une délicieuse bande sonore d’un chant africanisant sur la fin du morceau. Avant ça il y a aussi un trompettiste qui l’a rejointe, et un guitariste un peu plus tard, chacun pour l’accompagner le temps d’un morceau. Par certains côtés il y a de légesr airs de Typh Barrow qui émerge chez elle dans ce coté soul de sa musique, mais l’ombre de Tori Amos plane aussi ce soir, dans ce que son chant et son piano peuvent avoir de sombrement envoutant.

Elle vient aussi nous proposer une reprise de “Cry me a river” de Justin Timberlake, moins torturée mais plus électronique que l’original. Elle intercale ensuite, en intro d’un morceau, des extraits d’interview de Nina Simone questionnée sur la question de la liberté. C’est une impression générale de perfection et de maîtrise qui se dégage de sa prestation, avec au final une dizaine de titres qui sont interprétés plus d’une heure durant. Bruxelloise d’origine, elle nous offre un final en forme d’hommage à la capitale et à la diversité qui l’anime et la construit. C’est avec huit choristes/chanteuses et dans une énergie propre au gospel et acapella, qui résonne comme un slogan militant pour défendre et valoriser cette diversité, que s’achève cet ensorcelant voyage introspectif au pays de Sïan Able.

 

Non, on ne l’avait pas vu venir la claque thérapeutique que peut apporter une prestation musicale et scénique complète lorsqu’elle est travaillée jusque dans ses moindres détails. Et cela sans pour autant oublier la spontanéité et l’authenticité qui la rende vibrante et humaine. Tout comme ce merchandising fait main qui attend les spectateurs à la sortie de la salle. Sïan Able fait partie de ces “jeunes” artistes, aux convictions et à l’identité créative solidement ancrées tout en voyageant au travers des frontières des genres et des disciplines artistiques.

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