Cela fait maintenant quelques années que les deux furieux de LA JUNGLE n’en finissent plus de mettre des raclées musicales et scéniques monumentales partout où ils passent. Avec un style musical complètement sauvage et débridé, ils collectionnent les étiquettes de genre dans un joyeux bordel où chacun y va de son argumentation pour décrire leur musique. De notre côté, on pense que “sauvagement dansante et joyeusement pogotisante” est ce qui colle le mieux à leur musique. C’est sur scène qu’ils ont construit leur réputation avec une débauche d’énergie et de sueur franchement communicative, où même les curieux de passage se laissent finalement entraîner dans la bouillante ronde infernale. Le brusque arrêt des tournées au printemps passé a bien entendu un peu cassé la dynamique en place. Le groupe ne s’est cependant pas mis en état végétatif, multipliant les sorties (lives, remix, collaborations) avec notamment leur quatrième album “Fall Off The Apex” qui est sorti il y a tout juste une semaine ! C’est à leur retour de leur premier concert (oui oui il y a encore des concerts) en Russie qu’ils ont eu la gentillesse de prendre le temps de discuter longuement avec nous. Scènes Belges vous propose aujourd’hui la première partie de cette interview.
[caption id="attachment_19038" align="aligncenter" width="450"]  Pochette de l’album “Fall Off The Apex” – Sortie 21/05/2021[/caption]
Scènes Belges : J’ai vu passer sur Internet des vidéos du concert que vous avez donné en Russie le 22 mai : des images d’un concert qui se déroule dans des conditions normales, “à l’ancienne” et qui font plaisir à voir. Quel est votre ressenti avec quelques heures de recul ?
 
La Jungle : C’était un exutoire. Mais l’accueil en Russie est contrôlé tout le temps. Tout prend des plombes. C’était vraiment très dur d’arriver là-bas. Le concert était exutoire car on avait envie de lâcher toute la pression que l’on avait, la fatigue. Tout est passé dans le concert. Et je pense que le public l’a ressenti. C’était un bon concert, c’était la folie. Nous on était serein. On avait déjà fait le COVID donc on était immunisé.
 
Scènes Belges : Vous aviez pu faire quelques concerts l’été passé, dans des conditions sanitaires restrictives, c’était votre premier vrai concert dans des conditions “normales” ?
 
La Jungle : Oui. Avec cette particularité quand même qu’à un moment on leur a demandé « et par rapport au COVID, vous en êtes où ? Est-ce que vous êtes vaccinés ? Et comment est-ce que tout cela est possible ? », et la nana a répondu « non, personne n’est vacciné, dans les hôpitaux c’est pas beau et tout le monde s’en branle ». On n’est pas là pour critiquer cette démarche. On y a été, on a fait ça en toute légalité par rapport au pays. Si on fait ça en Belgique maintenant on se fait tuer parce que c’est beaucoup trop tôt. Nous on n’a pas l’impression d’avoir fait de mal. On y a été aussi bien pour le concert mais aussi parce qu’on n’avait jamais mis un pied en Russie avant. Ce qui est intéressant c’est l’espèce de choc culturel au-delà du concert.
 
crédit : Ильяс Гафаров / Yummy Music (AWAZ Festival 21/05/2021)
 
Scènes Belges : C’est-à-dire ?
 
La Jungle : La grosse impression qu’on a eu dans cette ville, qui est vraiment très grande et aussi très grise, c’est d’être dans un environnement social et culturel qui a le cul entre deux chaises : la modernité occidentale que nous on vit en Belgique et un côté hyper vétuste. Une dame nous a dit « ici en Russie, ils n’écoutent jamais le gouvernement donc ils font ce qu’ils veulent parce que c’est une manière d’être mais par contre, inconsciemment, ils savent que s’ils font une connerie, ça se paie cash et très longtemps ». Le Tatarstan (NDLR : République faisant partie de la Fédération de Russie et où se déroulait le concert) veut l’indépendance, mais si tu en parles et que tu écris « indépendance » sur un mur, c’est 6 ans de taule. 3 grammes de drogue sur toi, c’est 4 ans de taule. Si tu fais une connerie tu risques beaucoup, mais il y a la volonté de ne pas écouter ce qu’on te dit. Vladimir Poutine veut encore rester au pouvoir, du coup il lâche du lest comme si le COVID n’existait pas. La question des libertés coupées en Belgique n’existe pas là-bas. Un concert à 300 personnes sans distanciation et sans masque où tout le monde pogotte ça nous a ravi mais il y a de grosses questions qui se posent.
 
Scènes Belges : Ce concert avait quelque chose d’ exotique finalement ?
 
La Jungle : On est parti là-bas sans aucune info. Ceci dit, c’est fait et ça s’est super bien passé. Mais c’était la première fois qu’on partait faire un concert en prenant l’avion. C’est un mode opératoire qu’on ne connaissait pas et auquel on sera peut-être à nouveau confronté. Peut-être qu’à l’avenir on va encore être dans des cas de figure comme ça et on saura qu’il ne faut pas s’en faire.
 
[caption id="attachment_19082" align="aligncenter" width="500"] crédit : Fred Labeye – Jekyll n Hyde[/caption]
 
Scènes Belges : En parlant de concert, avant le COVID vous aviez une moyenne de 3 concerts par semaine et c’était devenu la marque de fabrique de La Jungle : se construire une réputation par les concerts, puisque votre musique n’est clairement pas calibrée pour les radios. Comment vous avez survécu depuis mars 2020 ?
 
La Jungle : On avait bien planifié l’année 2020 à l’avance. Du coup on a sorti un double album vinyle live. Mais pour sortir un vinyle ça prend des mois car tu as déjà deux à trois mois de pressage. Tout était calé. On avait déjà contacté des gens pour faire le triple vinyle des remix de l’album Past/Middle Age/Future. On savait aussi qu’on allait faire quelques collaborations. L’année était déjà remplie. On était tout le temps occupé du coup. Ce n’est pas à cause du COVID qu’on a fait une année avec 5 sorties, c’était planifié. Ça tombait bien que cela tombe comme ça.
Et en 2021 on a retranscrit des concerts mais sous forme de répétitions. On a presque eu le même rythme de concerts mais sous une autre forme. Du coup on a beaucoup avancé dans la composition et on a enregistré de nouveaux trucs. On a déjà bien planifié jusqu’en 2022. On n’aurait pas pu rester le cul vissé sur notre chaise en attendant que les concerts reprennent parce qu’on a vite compris que ce ne serait pas possible. Soit tu te dis que c’est une fatalité et que tu ne peux rien y changer, soit tu revois ta manière de fonctionner. Et c’est ce qu’on a fait, on a revu la manière dont on investit notre temps et notre énergie là-dedans. Et maintenant, avec un an de recul, on se rend compte que ça a porté ses fruits. On aurait préféré qu’il n’y ait pas de pandémie mais on s’en est pas trop mal sorti. Il y a encore pas mal de choses sur lesquelles on n’a pas communiqué. On n’a pas perdu de temps et on a investi ces semaines et ces mois d’attente dans d’autres choses qui sortiront en 2021, 2022 et 2023.
 
[caption id="attachment_19066" align="aligncenter" width="500"] Pochette du triple vynil “Past // Middle Age // Future (Remixes)”[/caption]
 
Scènes Belges : Vous parliez tout à l’heure du format vinyle, c’est quelque chose de très présent chez La Jungle. On sait que le marché du CD ne se porte pas au mieux, que le streaming reprend les parts du marché mais avec un gros problème de redistribution des bénéfices. Pourquoi cette volonté de s’axer sur le vinyle plutôt que sur d’autres formats ?
 
La Jungle : On aime bien avoir un bel objet avec un beau graphisme, c’est grand, c’est beau. Pour nous c’est le format vinyle et sa tracklist qui déterminent le reste. Par exemple, l’album CD se retrouve comme ça parce qu’on l’a décidé sur le vinyle. Quand tu as des chansons de 10 minutes, tu ne peux pas la mettre où tu veux sur le vinyle. Si le titre est un peu lent, si tu as un truc avec trop de saturation, tu ne peux pas la mettre à la fin d’une face parce que les sillons sont trop petits, tu vas niquer le son de cette chanson-là. Tout est pensé dans ce sens-là. Et puis aussi, tout simplement, on aime bien le vinyle et on en achète. On a de belles collections et des belles pièces, c’est un truc culturel. Par exemple, dans le jazz c’est vachement répandu. Mais on a conscience que c’est un format temporaire et qu’il faudra trouver autre chose. Ce ne sera pas possible à long terme de continuer à presser des disques comme ça. On a pris du retard dans le pressage du dernier album “Fall Off The Apex” à cause d’un manque d’approvisionnement de pétrole dans certaines filières qui impactent les fournisseurs. C’est un procédé de pérennisation de la musique qui commence tout doucement à poser problème par moment et qui n’est vraiment pas écologique. On ne croit pas du tout dans des trucs de merde de vinyles écologiques. C’est un enfer de produire du vinyle, c’est de la putain de pollution. Cela la même chose pour les CD avec l’emballage plastique. Nous on fait des emballages cartons mais tu as quand même du plastique. Ce qui pollue le plus, ce sont des Netflix et des choses comme ça, c’est le streaming avec tous les serveurs de stockage.
 
[caption id="attachment_19072" align="aligncenter" width="500"] crédit : Koen Keppens (Dour Festival 2019)[/caption]
 
Scènes Belges : Il y a des artistes qui évoquent cette idée : ce qui reste de vrai c’est le concert. Je ne vais rien enregistrer et les gens vont venir aux concerts.
 
La Jungle : Cela pourrait être intéressant aussi, tu aurais plus de public. Après, à chaque fois que j’en parle, il y a toujours cette réflexion : « n’oubliez pas que c’est complémentaire, les concerts ne fonctionnent pas sans les albums et les albums ne fonctionnent pas sans les concerts. » Je pense que le temps où on va s’en foutre de sortir de la nouvelle musique et juste faire des concerts ce n’est pas pour tout de suite. Ce n’est pas vraiment dans notre fonctionnement. C’est un tout qui pose question par rapport à ce que tu fais de ta musique. Quand on parle du streaming par exemple, cela reste de très grosses entreprises qui génèrent une certaine précarité malgré elles. C’est pas top du tout non plus.
 
Scènes Belges : Il parait que le montant moyen reversé par écoute aux artistes tourne autour des 0,4 centimes. C’est mal payé quand même !
 
La Jungle : C’est vraiment des revenus qui t’appartiennent mais qu’il faut réclamer car si tu ne le fais pas, ils les gardent pour eux. Malgré tout, des rétributions digitales, on en a eu. C’est le mec qui sort nos disques qui va chercher les sous mais c’est tellement dérisoire, c’est 50 euros par an. Et en plus cela met beaucoup de temps à arriver. On va peut-être seulement passer à la SABAM parce qu’on a des gens qui veulent utiliser notre musique. On l’avait pas fait jusque là parce qu’on voulait pouvoir jouer dans des petits clubs sans faire payer 50 ou 100 balles le mec de la salle parce qu’il fait jouer La Jungle. Et on ne le faisait pas parce qu’on devait payer 1000 euros à la SABAM pour jouer notre propre musique.

 

 

 

 

 
[caption id="attachment_18941" align="aligncenter" width="500"] crédit : Fred Labeye – Jekyll n Hyde[/caption]
 
Scènes Belges : D’où votre présence sur la plateforme Bandcamp ?
 
La Jungle : Ils prennent quand même 15% ces singes-là. Quand tu sais combien te coute un disque… Sauf certains vendredis où ils ne prennent rien. Mais sinon c’est une super plateforme ! Tu vois clairement combien ils dépensent, combien ils ont achetés,… C’est vraiment super ! Il n’y a malheureusement que des gens qui sont déjà un peu dans la musique qui savent que cette plateforme existe. C’est peut-être consumériste de dire cela comme ça, mais les gens soutiendront toujours plus un artiste en achetant son album à 10 euros sur Bandcamp qu’en l’écoutant tous les jours pendant 2-3 ans sur Spotify. Les ventes physiques c’est un peu notre manière de nous sauver. On récupère notre investissement, l’argent qu’on a mis pour aller au studio grâce à la vente des vinyles en concert, quand on tournait avec 3 concerts par semaine. Et on les vendait en concert parce qu’on rencontrait les gens.
 
IL NE VOUS RESTE DONC PLUS QU’A ALLER FAIRE UN TOUR SUR LA PAGE BANDCAMP DE LA JUNGLE POUR Y FAIRE VOS PETITES AMPLETTES MUSICALES, AVEC DES VISUELS TOUJOURS ORIGINAUX EN PRIME.
 
 


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